Entretien pour le journal Le Soir, paru le 29 avril 2024. Propos recueillis par Stéphane Vande Velde.
Après l’utilisation par Ecolo de « fausses images » pour illustrer des témoignages, le recours aux banques d’images par tous les partis politiques démontre une logique de communication proche de celle de l’entreprise.
Ecolo a été rattrapé ce week-end par son visuel sur les témoignages des jeunes étudiants qui expliquaient les problèmes auxquels ils étaient confrontés et que la réforme du décret Paysage allait résoudre. Car les visuels ne correspondaient pas aux témoignages mais provenaient de banques d’images. Tollé. « Nous avons reçu des centaines de témoignages d’étudiants en détresse. Depuis le vote de jeudi, ils saluent nos parlementaires pour le travail accompli sur la réforme Paysage. Certains ont accepté d’être filmés et se retrouvent sur les vidéos publiées sur les comptes de nos députés. D’autres ne veulent pas toujours apparaître ou se voir étiquetés dans une communication de parti. Nous avons donc recouru à une banque d’images pour illustrer leurs propos réels », explique Antonio Solimando, directeur de la communication d’Ecolo.
Les verts ne comprennent pas la polémique, s’appuyant sur le fait que tous les partis le font et s’estiment victimes d’une campagne menée par des comptes anti-écolos sur les réseaux sociaux. Là où ils n’ont pas tort, c’est qu’ils sont loin d’être les premiers ni les seuls à agir de la sorte. Le 15 février 2021, pour illustrer les dégâts de la taxe kilométrique, le MR avait utilisé une banque de données pour évoquer le sort d’une « Lisa, mère de trois enfants ».
Du côté des Engagés, on dit « privilégier au maximum l’usage de photos issues de notre propre base de données mais (…) que, néanmoins, en tant que mouvement politique et créateur de contenus, il nous arrive d’aborder des sujets extrêmement variés et pour lesquels nous ne disposons pas d’illustration propre. En pareil cas, nous recourons à une banque d’images ». Du côté du PS, on nuance. On reconnaît piocher dans des banques d’images « comme illustration d’un sujet mais jamais pour des témoignages ».
Un moyen d’incarner un message
Reste que si tous les partis le font, cela peut induire un mélange de genres. On utilise les codes journalistiques sans faire du journalisme, et surtout on risque de diluer le message. Car si l’illustration est fausse, peut-on toujours faire confiance au message ? Certains partis nous expliquent que c’est une façon de vulgariser et surtout d’incarner un message. « Cela me semble au contraire diminuer la crédibilité du message dans la mesure où cela manque d’authenticité avec des visuels qui semblent déconnectés de la réalité. Le public cible va avoir du mal à se sentir représenté. Il y a une forme d’artificialité du procédé », réagit Nicolas Baygert, docteur en sciences de l’information et de la communication, et enseignant à l’Ihecs et à Sciences Po Paris.
Dans un contexte de défiance politique, l’épisode peut donner une nouvelle impression de tromperie. « Ethiquement et déontologiquement, c’est évidemment répréhensible. La campagne doit en quelque sorte cautionner a posteriori la tangente prise par le parti. On crée un unanimisme de toutes pièces. Et donc, l’authenticité et la véracité de cette campagne posent question et met le doute sur des témoignages qui pourraient être fabriqués », explique le politologue, Nicolas Baygert.
Selon lui, si les partis politiques agissent de la sorte, c’est surtout pour assurer « le service après-vente ». « Il y a une forme de contamination de la logique de communication réservée au monde de l’entreprise. Faire ce travail de persuasion a posteriori, c’est montrer que le client est satisfait. Cela démontre une porosité entre les stratégies de communication du monde de l’entreprise et du monde politique, qui était préservé jusqu’à présent de ces emprunts mais qui s’inspire de plus en plus de ce qui se fait dans le domaine des marques. »

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