Pourquoi Joe Biden s’est-il réellement retiré et si tard? Des bulletins de santé présidentiels toujours top secret

Entretien pour RTBF.info paru le 24 juillet 2024. Propos recueillis par Jean-François Herbecq.

L’annonce dimanche soir par Joe Biden de son retrait de la campagne présidentielle aux Etats-Unis a sans doute soulagé ses supporters. Le démocrate de 81 ans n’affrontera pas Donald Trump dans une élection à l’issue incertaine. Il ne fera pas le mandat de trop.

Impossible de juger aujourd’hui de l’état de santé de Joe Biden ou de ses réelles capacités à exercer la présidence 4 années de plus.

Tout ce que l’on sait, c’est qu’une série de problèmes se sont accumulés dernièrement. Ainsi qu’il l’a expliqué lui-même après son débat raté contre Donald Trump : « J’étais malade. Je ne me sentais vraiment pas bien… J’étais épuisé« , parlant d’un « mauvais rhume« , avant un test positif au Covid.

Résultat, un vent de panique dans son parti, et une écrasante majorité d’Américains qui le jugent incapable de gouverner quatre ans de plus en cas de victoire.

La santé des présidents américains : souvent un secret bien gardé

La pneumonie du premier président américain George Washington, celle qui a terrassé son successeur William Henry Harrison, le cancer de Grover Cleveland avec une grosse moustache pour dissimuler les séquelles de son opération à la mâchoire, la grippe espagnole qui affaiblit Woodrow Wilson avant une attaque cérébrale, la dépression de Calvin Coolidge, la paralysie cachée de Franklin Roosevelt, l’AVC qui frappe Dwight Eisenhower, la crise cardiaque qui emporte Warren Harding, sans compter les problèmes de glandes surrénales de John Kennedy et les soupçons d’Alzheimer chez Ronald Reagan…

Les Etats-Unis ont une longue histoire de présidents à l’état de santé problématique ou diminués par leur âge et qui ont eu une fin de mandat désastreuse à cause de mauvaises décisions ou d’absence de décisions. Et souvent, les bulletins de santé restent top secret, en tout cas de leur vivant…

Surtout ne pas changer de cap

Mais pourquoi vouloir dissimuler ou minorer les problèmes de santé des dirigeants ?

Nicolas Baygert, professeur en communication politique à l’ULB, à l’IHECS et à SciencesPo Paris explique que « c’est d’abord la volonté de gérer la perception publique du personnage lorsqu’il est en fonction ou lorsqu’il est, comme c’était le cas jusqu’à dimanche, en lice pour sa réélection ».

« Par exemple, François Mitterrand avait caché pendant des années qu’il souffrait d’un cancer de la prostate, et cette dissimulation n’a été révélée qu’après sa mort ». 

« Aujourd’hui, dans le cas de Biden, la volonté était avant tout de préserver une stratégie anti-Trump et de concevoir la candidature Biden comme l’unique alternative pour s’opposer à un retour de Trump à la Maison Blanche. »

« Il y a donc une forme d’acharnement à maintenir cette image, malgré les signes de déclin progressif lié à l’âge, qui vont au-delà de simples symptômes de Covid. »

Maintenir Biden comme candidat a longtemps semblé la seule option pour le parti démocrate et pour le président lui-même, question de stabilité, de continuité.

« Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a beaucoup d’argent qui a été dépensé dans cette campagne. Donc quand les donateurs ont dit c’est fini, on ne finance plus cette campagne, ça a été l’élément déclencheur. »

Le devoir de discrétion coulé dans une règle

Dans les cas de Franklin Roosevelt, de Ronald Reagan ou de John Kennedy, ce n’est qu’après la fin de leur présidence que leurs problèmes de santé ont été révélés.

Cette discrétion sur la santé des présidents américains existe de longue date, mais elle est formalisée à partir de 1964 lorsque le magazine américain Fact interroge des centaines de psychiatres sur l’état mental du sénateur Barry Goldwater, candidat à la présidentielle.

La une de Fact et une affiche de Barry Goldwater

La une de Fact et une affiche de Barry Goldwater © Fact

Le sondage qui conduit le magazine à écrire que Barry Goldwater est inapte pour être président est peu scientifique et ne repose sur aucun examen. Le candidat républicain fera condamner Fact. 

Après cela, l’association de psychiatrie américaine adopte la règle qui interdit aux psychiatres de donner des avis sur la santé mentale des personnalités publiques sans examen direct.

Effet boomerang

« Cela soulève la question de l’équilibre entre le devoir éthique et la responsabilité publique, protéger le bien commun, la nation contre un leader potentiellement défaillant« , note Nicolas Baygert.

Aujourd’hui, cette règle « Goldwater » reste d’application.

Mais dans le cas de Joe Biden, avec les directs télé et les réseaux sociaux tout le monde a pu constater les signes avant coureurs bien visibles qui laissaient présager un état de santé plus grave que des pertes de mémoires liées à l’âge ou des symptômes du Covid, fait remarquer Nicolas Baygert : « Le fait de scruter en permanence la communication verbale et non verbale, ces éléments sont beaucoup plus difficiles à cacher aujourd’hui que dans le passé, ce qui rend la situation complexe à gérer. Bien que la discrétion professionnelle soit une obligation éthique, certains estiment qu’il faut parler ouvertement pour le bien commun« .

La méthode Coué a donc ses limites en politique : envoyer au front un président qui trébuche sur les chiffres et sur les mots, qui finit par confondre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine n’est pas exempt de risques.

« Car une gestion non transparente de l’état de santé des personnalités politiques peut mener à une crise de confiance et à un effet boomerang. »

Contre-productif

« Par exemple, malgré des signes avant-coureurs sur l’état de santé de Biden, son entourage a insisté pour le présenter comme un candidat en pleine forme, ce qui a finalement été contre-productif pour les démocrates« , poursuit le professeur en communication politique qui souligne que l’aveuglement et la panique dans l’entourage de Joe Biden se manifestent aujourd’hui par l’absence de plan B pour sa succession en dehors de la vice-présidente Kamala Harris.

Si on tente la comparaison avec François Mitterrand par contre, il faut souligner que son état de santé caché n’a pas eu d’impact sur ses capacités à exercer ses fonctions de président de la république : « C’est un contexte bien différent de celui de François Mitterrand, où ses capacités cognitives n’étaient pas mises en doute, contrairement à son état de santé global lié au cancer« , ajoute Nicolas Baygert.

Par contre, dans le cas de Ronald Reagan, un parallèle peut être fait car son Alzheimer révélé après coup a suscité des questions sur sa gestion.

La transparence, gage de sympathie

La transparence et l’humanisation de la communication peuvent être positives, en montrant que les personnalités politiques traversent les mêmes épreuves que le reste de la société.

« Un responsable politique comme Edouard Philippe en France a choisi de faire toute la transparence sur sa dépigmentation soudaine et son alopécie, sa perte de cheveux. Il a expliqué ses symptômes et rassuré le public sur son état de santé général et sur sa capacité à endosser des fonctions importantes« , note Nicolas Baygert qui rappelle que l’électeur en général veut des candidats en bonne santé. 

Et pour cela, qu’il faut tenir compte des limites naturelles et ne pas viser de longévité papale.

Il faut donc faire évoluer la communication en présentant des résultats médicaux clairs et se poser la question de savoir si le candidat, malgré sa conviction personnelle, est vraiment la meilleure solution pour le parti et le pays.

Autres exemples de communication ouverte plus récentes, Jacinda Ardern, ancienne première ministre néo-zélandaise, qui quitte la politique en expliquant une forme de grande fatigue mentale et morale, Yves Leterme, qui confesse dans une vidéo face caméra l’impact de la vie politique sur son mental, voire Conner Rousseau dans son interview catharsis façon téléréalité pour les réseaux sociaux : de quoi « humaniser » le personnel politique, susciter l’empathie.

Dans nos contrées, les personnalités politiques ne sont plus vues comme des individus dotés de pouvoirs surnaturels

« Ne pas vouloir se faire passer pour des êtres de titane et d’acier, humaniser sa communication », voilà une attente sans toute mieux comprise par les nouvelles générations de politiques.

C’est ce que conclut Nicolas Baygert qui pointe cependant l’exception de Rachida Dati quand elle retourne travailler quelques jours après avoir accouché : »Ce n’est pas forcément quelque chose qui aujourd’hui s’avère payant d’un point de vue communication ».

« Et ça dépend fortement de la culture politique du pays, je pense que dans nos contrées, les personnalités politiques ne sont plus vues comme des individus dotés de pouvoirs surnaturels ou en tout cas capables de faire face à absolument toutes les situations ».

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