Interview pour la Dernière Heure parue le 29 novembre 2024. Propos recueillis par Gauvain Dos Santos.
Côté francophone, le monde politique sort rarement de son rôle. À quelques exceptions près, les élus se cantonnent à défendre leur programme sur les plateaux télés. De l’autre côté de la frontière linguistique, c’est tout l’inverse. Ministres, présidents de parti, députés, bourgmestres… ils n’hésitent pas à se mettre en scène dans des shows qui n’ont parfois aucun rapport avec la politique. Explications avec le professeur de communication Nicolas Baygert.
Pourquoi la politique flamande flirte-t-elle avec le divertissement tandis que, côté francophone, le politique sort rarement de son rôle ?
Miaou miaou miaou miaou” . C’est sur ces paroles que la ministre flamande Melissa Depraetere a terminé son interprétation en langue des chats du morceau “These boots are made for walking”. Une revisite de Nancy Sinatra par la numéro 2 du gouvernement flamand que les téléspectateurs ont pu apprécier mercredi soir en regardant le très populaire programme “De Slimste Mens ter Wereld” .
Cet affrontement pour le titre de “personne la plus intelligente du monde” a déjà reçu de nombreuses figures politiques flamandes. Le probable futur Premier ministre Bart De Wever (N-VA) a été finaliste en 2009. Un passage qui a boosté sa popularité. “ J’ai fait un pas de géant vers la gloire” , expliquera-t-il plus tard. Herman De Croo (Open VLD), père du Premier ministre sortant et Marc Eyskens (CD&V), ancien Premier ministre, y sont également passé, mais dans le jury.
Plus récemment, on a vu le président des chrétiens-démocrates, Sammy Mahdi, participer à The Masked Singer grimé en drag-queen. Conner Rousseau, président de Vooruit, a révélé qu’il était le lapin-pimp de cette même émission. La ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden (CD&V) a été suivie sur une île grecque dans la téléréalité “Viva la Feta”. Vincent Van Quickenborne (Open VLD), lorsqu’il était encore ministre de la Justice, avait accepté de faire une immersion pendant plusieurs jours dans une prison. Sans oublier “Het Conclaaf” qui a enfermé ensemble des présidents de parti et des ministres dans un château. Cette production de VTM à quelques semaines du scrutin de juin a eu un impact non négligeable sur la popularité des candidats.
De l’autre côté de la frontière linguistique, les exemples sont beaucoup moins nombreux. Le député Denis Ducarme (MR) a participé à l’émission “Les Traîtres”. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a fait un passage écourté dans l’émission flamande “Special Forces”. Lorsqu’il était Premier ministre, Elio Di Rupo (PS), avait eu droit à une intervention dans Top Chef, mais l’extrait avait finalement été retiré suite aux protestations de Didier Reynders (MR). Le président Paul Magnette (PS) et Melchior Wathelet (cdH) ont participé à des quiz en Flandre il y a plusieurs années.
Pourquoi le monde politique francophone ne se frotte-t-il pas davantage à ce type de mise en avant ? Tout d’abord, parce que l’espace médiatique francophone ne le permet pas.
“Il y a un contraste entre l’offre, même en termes d’infotainment politique, côté flamand, et ce qu’on peut proposer côté francophone” , explique Nicolas Baygert, docteur en science de l’information, “ On le voit même dans l’offre des débats de télé. Les émissions du dimanche ont quasiment toutes disparu. Pour les politiques, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent pour engranger ce fameux capital sympathie.”
Absence de people
D’une manière plus large, ce phénomène est aussi facilité par la peopolisation qui existe au Nord du pays. “ C’est un mélange des genres totalement assumé, qui est pratiqué par les élus de tous partis confondus puisqu’il n’y a pas de cordon sanitaire médiatique côté flamand. Et ça permet à ces personnages de toucher une audience et un public plus large et qui n’évitent pas forcément les débats politiques” , poursuit le professeur qui donne cours notamment sur ce cas de figure à l’Ihecs. “En Flandre, les politiques sont traitées comme des Bekende Vlamingen (”Flamands connus”). Ce phénomène est tout à fait assumé. Côté francophone, il n’y a pas la même conception de la personnalité publique.”
Gauvain Dos Santos

Laisser un commentaire