Pourquoi Bart De Wever communique-t-il avec autant d’autodérision sur Instagram ?

Interview pour La Dernière Heure parue le 18 mars 2025. Propos recueillis par Gauvain Dos Santos.

Le Premier ministre adore partager des images ordinaires de sa vie quotidienne. Un choix décalé qui ne date pas d’hier et qui améliore son capital sympathie, analyse le professeur Nicolas Baygert (IHECS, Science Po Paris).

En vacances au ski, Bart De Wever a partagé une photo de lui en train de faire la sieste dans une combinaison jaune et noire, posé dans un transat rouge. En un cliché d’apparence anodine, le Premier ministre est parvenu à souligner tout le paradoxe que constitue le fait d’avoir à la tête du gouvernement national un homme qui a déjà appelé à la fin de la Belgique.

D’autres fois, il se met en scène en train de manger des salades dans des barquettes en carton. L’homme fort de la N-VA semble adorer commenter les aspects insignifiants de son quotidien. Pourquoi ? Réponse avec le professeur et l’expert en communication politique Nicolas Baygert (IHECS, ULB, Sciences Po Paris).

Pourquoi Bart De Wever choisit-il de communiquer sur sa vie ordinaire sur Instagram ?
« C’est une vraie stratégie. L’objectif est de créer un capital sympathie et une proximité qui n’existent pas dans les interviews politiques classiques. Montrer son quotidien – une salade de pâtes, des moments de famille – humanise son image et le rend plus accessible. Il s’agit de rompre avec le formalisme institutionnel habituel. Cette approche s’inscrit dans une tendance plus large de personnalisation de la politique, à l’instar de certains leaders qui mettent en avant leur cocon familial pour éviter d’être perçus comme trop distants. »

Cette mise en scène du quotidien est-elle une façon de faire oublier les discours sur l’austérité et les efforts économiques ? Ou, du moins, de montrer que lui-même doit se soumettre à ces efforts ?

« Difficile à dire, mais ce n’est pas exclu. Dans le passé, Bart De Wever a déjà lié des aspects personnels à son discours politique, comme lors de son régime drastique à l’époque du slogan ‘La force du changement’. Il utilise un storytelling intime pour résonner avec son électorat. Il cherche à démontrer une forme de modestie, à se montrer proche des préoccupations des Flamands, à l’opposé d’une figure bling-bling ou déconnectée. »

Lors de son discours aux militants de la N-VA, il disait briguer le poste de Premier ministre à contrecœur. Ses photos traduisent-elles cette posture ?

« Oui, il présente cette ambition comme un devoir plutôt qu’un rêve. Contrairement à d’autres, comme le ministre de la Défense Théo Francken qui revendique son enthousiasme, Bart De Wever joue sur l’ironie et l’autodérision. Son compte Instagram, loin d’être une vitrine politiquement lissée, traduit cette distance, un humour presque british qui passe parfois moins bien du côté francophone. Il ne veut pas apparaître comme quelqu’un qui se transforme avec la fonction mais garder une certaine constance, une authenticité. »

L’engagement est nettement plus fort sur ses photos du quotidien que sur ses extraits d’interviews ou interventions à la Chambre. Qu’est-ce qui explique cela ?

« Il y a une prime à l’intimité, à l’authenticité. Beaucoup de leaders politiques ne mettent pas en avant leur sphère privée. Sophie Wilmès, par exemple, n’a jamais posté ce genre de photos. Mais pour Bart De Wever c’est un choix tactique assumé depuis longtemps. Il exploite habilement l’humour décalé et la mise en scène de son quotidien pour créer un lien émotionnel avec son électorat ; une stratégie particulièrement adaptée au paysage médiatique flamand où la proximité avec les électeurs est essentielle. »

Gauvain Dos Santos