Compte rendu pour La DH du passage au micro de Maxime Binet sur LN24, le 7 avril 2025.
Ce lundi 7 avril 2025, Maxime Binet recevait Nicolas Baygert, professeur en communication politique, dans son émission « Café Sans Filtre » sur LN24. Ils ont abordé la condamnation de Marine Le Pen et la stratégie adopté par le Rassemblement National.
Ce dimanche, des milliers de personnes se sont rassemblées à Paris à l’appel du Rassemblement National. Le parti d’extrême droite a invité ses militants à soutenir Marine Le Pen, sa cheffe de file condamnée la semaine dernière à 4 ans de prison, dont deux ferme aménageables sous bracelet électronique, et 5 ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics, ce qui pourrait l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle.
Face à ses partisans, la leader d’extrême droite a dénoncé une « décision politique » et une « chasse aux sorcières ». Un discours que n’aurait pas renié Donald Trump, confirme Nicolas Baygert, professeur en communication politique à Sciences Po Paris, à l’IHECS et à l’ULB et fondateur de Protagoras.
« Il y a un climat trumpiste, voire même gaullo-trumpiste dans le discours de Bardella, car il a cité le Général de Gaulle à trois reprises. Ce qu’on peut surtout voir, c’est qu’il y a une polarisation du discours politique et une fragmentation du paysage politique en France : il n’y a pas deux, mais trois France. Il y avait trois meetings au même moment : la gauche de la gauche de Mélenchon, le bloc central autour de Gabriel Attal et les nationalistes et patriotes d’extrême-droite autour de Marine Le Pen », constate-t-il au micro de Maxime Binet.
Comme l’illustrent ces différents meetings, des individualités politiques commencent à se positionner chez nos voisins. Alors que l’élection présidentielle française n’aura lieu que dans deux ans, la campagne semble déjà bien lancée.
« Il y a un peu plus de malaise du côté du Rassemblement National car on ne peut pas encore parler de succession. On est dans un attentisme et ça va être problématique pendant un an car on ne peut pas travailler cette image de présidentiable pour Jordan Bardella. Avec Gabriel Attal, on est déjà dans le post-macronisme avec la volonté d’incarner ce bloc central, européiste, fédéraliste et la carte à jouer pour lui c’est que dans cette constellation de scandales, il est pour le moment le seul qui semble totalement épargné. Edouard Philippe s’est déjà positionné pour reprendre la suite du macronisme mais lui-même est empêtré dans un certain nombre d’affaires. François Bayrou est lui aussi dans une situation délicate. C’est déjà la campagne qui démarre… »
Fini la dédiabolisation, bonjour l’indignation
Lors de son discours, Marine Le Pen a martelé vouloir protéger les droits civiques des Français, au point d’évoquer la figure de Martin Luther King, pasteur qui s’est battu pour la reconnaissance des droits civiques des Afro-Américains. Quelques jours plus tôt, elle s’était déjà comparée à Alexeï Navalny, l’opposant russe à Poutine mort durant son incarcération.
« Il y a des éléments de langage qui ont été répétés en boucle. Bardella a parlé plusieurs fois de chasse aux sorcières et de tyrannie des juges. Il y a une volonté de structurer la perception du public en gagnant la bataille de l’interprétation. Pour Marine Le Pen, la comparaison avec Martin Luther King étonne. Il y a une volonté de renouer avec une stratégie antisystème qui avait fait l’objet de tout un travail de dédiabolisation depuis une vingtaine d’années », analyse le professeur en communication politique.
Après une vingtaine d’années de travail de dédiabolisation, le populisme et l’indignation semblent donc de retour au sein du Rassemblement National. « Il y a un travail très fort qui est effectué sur cette dimension affective et émotionnelle et sur la volonté de laver l’honneur de Marine Le Pen. Cette stratégie de victimisation renoue avec la volonté de critiquer l’état et la justice comme un tout et engendre une rupture presque involontaire avec le travail de normalisation. Après la stratégie de la cravate, on retourne vers une stratégie où la justice est pointée du doigt », confirme Nicolas Baygert.
Justice ou injustice : deux récits qui se contredisent
Alors que la classe politique française est de plus en plus polarisée, ce phénomène a un gros impact sur l’opinion publique avec deux récits qui se contredisent et qui semblent totalement inscrits dans l’esprit des Français. « On est dans cette ère de post-vérité lancée par Trump. Aujourd’hui, ce ne sont plus les faits qui comptent, c’est l’interprétation de ces faits, avec la volonté de défendre un camp coûte que coûte. On voit que là où certains vont prôner le fait que la Justice a fait son travail, avec une forme de joie mauvaise de voir s’effondrer la favorite aux prochaines élections. Et de l’autre côté, on a un sentiment d’injustice qui est en train de s’installer avec l’idée que l’exécution immédiate de l’inéligibilité laisse croire que les juges ont abusé de leur pouvoir. Il y a une forme d’assassinat politique qui est ressentie par une partie la population. »
Cette volonté de pointer du doigt la Justice n’est pas neuve et s’observe ailleurs en Europe. Cela a été également incarné pendant des années par Donald Trump, qui a lui-même repris son concept de « chasse aux sorcières » pour parler du destin politique de Marine Le Pen.
« C’est problématique car donner l’idée d’un État de droit qui ne tient plus en France, c’est contrer cette stratégie de la respectabilité que le Rassemblement National avait mise en place depuis des années. Oui, l’État de droit est fustigé mais, du côté de Jordan Bardella, on a évité de lancer un tapis de bombes sur la Justice afin de plutôt cibler le syndicat de la magistrature, qui serait hautement politisé », conclut Nicolas Baygert.

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