Elio Di Rupo ou la politique du pathos

Une carte blanche publiée dans La Libre Belgique, le 17 avril 2012 , sur la stratégie de communication du Premier ministre Elio Di Rupo.

Le décès dramatique d’un superviseur de la Stib à la suite d’une agression a une nouvelle fois secoué l’opinion. Cette fois, c’est le personnel du transport public qui marque le coup. Bruxelles mise au pas pendant plusieurs jours, le « daily business » politique se voit relégué au second plan. Un contexte particulier qui, comme à chaque fois, permit à Elio Di Rupo, plutôt absent de la scène politique intérieure depuis le début de son mandat, de revenir très brièvement sur le devant de la scène.

Hormis quelques apparitions en Flandre ayant pour but de « booster » son capital sympathie, l’agenda de Di Rupo fut largement dominé par l’international – sauf lorsqu’il s’agissait de reprendre les attributs du thaumaturge; du Premier compatissant.

D’un point de vue communicationnel, depuis son arrivée au « 16 », Di Rupo transforme chaque nouvel événement tragique en « lubrifiant social ». Une gestion « émotive » de crise qui s’avère payante, tant pour un gouvernement auquel on offre l’opportunité de se montrer réactif que pour le Premier, dont les qualités humaines furent louées de toutes parts (y compris par la N-VA).

En comparaison, on épinglera l’incompétence des syndicats à gérer cette même émotion collective : le sentiment de solidarité à l’égard du personnel de la Stib ayant graduellement laissé place à une vive exaspération dans le chef des usagers, pris en otage par la cuisine interne syndicale.

La communication d’Elio Di Rupo se caractérise par une empathie réelle et un haut degré d’intelligence émotionnelle au service d’une carrière politique remarquable. Pour Aristote, « logos » (discours rationnel, argumenté), « ethos » (réputation, prestance – citons ici le nœud papillon et autres attributs de la « marque » Elio) et « pathos » (émotion, empathie) représentent les trois axes de l’art de convaincre.

Aussi, les propos d’un Di Rupo figurent principalement dans le registre du « pathos », du ressenti : réagissant avec « horreur » au décès de l’agent Iliaz Tahiraj, comme il se déclarait horrifié par la tuerie de Liège en décembre ou se montrait profondément touché par la tragédie de Sierre, allant jusqu’à décréter un jour de deuil national.

Une fois l’acte officiel de commisération accompli, c’est aux ministres de s’approprier la gestion de crise et le champ des médias. Une dynamique contrastant avec l’attitude d’un Nicolas Sarkozy, « omni-Président au cœur de la tempête » et « crisis-manager » autoproclamé, éclipsant volontiers ses ministres pour paraître au plus proche des dossiers.

Cherchant à incarner l’unité populaire, dans sa dimension supracommunautaire, Elio Di Rupo est généralement adepte du symbole et des mots forts – « Pour tout le pays, c’est vraiment affreux ». La solennité du ton adopté se rapproche des discours habituellement prononcés par Albert II qui, en tant que souverain, représente ce « corps politique intégral » dans son harmonie et sa solidarité.

Aussi, se tenant relativement à distance de l’action gouvernementale, lorsqu’il s’agit de partager un vécu émotionnel, Di Rupo est au plus proche des gens. « Les gens ne pensent plus, ils ressentent », une remarque de Margaret Thatcher récemment remise à l’honneur par le biopic « The Iron Lady », illustrant un certain air du temps.

A chaque nouvelle tragédie, l’émotion collective est alimentée en continu par les médias. Le philosophe Peter Sloterdijk parle à ce sujet d’une « infosphère hystérisée », de l’hystérisation comme forme moderne du consensus, voire comme moteur politique. En effet, le ressenti perpétuel implique un agir politique immédiat : enclenchement ex nihilo du dialogue social, légifération tous azimuts.

Le politique se mesure désormais à sa faculté de digérer l’émoi, voire à le sublimer en nouvelle loi. Un contexte politique dans lequel le gouvernement actuel semble aussi à l’aise qu’Elio Di Rupo dans son bassin montois.

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