France 2013 : Monarchie as usual

Premier billet (co-écrit avec Philippe Moreau Chevrolet) publié sur notre nouveau blog « Spin it » ce 29 janvier 2013.

La première « séquence » de la Présidence de François Hollande, de la « Normalie » aux premières incursions de troupes françaises au Nord-Mali, vient de s’achever. Une séquence qui débouche sur un constat : le changement reste globalement lettre morte. Et un fait inquiétant : le premier fait marquant de la présidence de François Hollande n’est pas une nationalisation symbolique ni une mesure sociale d’envergure. Non, le quinquennat socialiste s’ouvre véritablement sur une guerre.

Que reste-t-il de la normalité ?

 

Mai 2012, la victoire de Hollande sonne le glas du sarkozysme flamboyant. Le Printemps hollandais s’annonce comme la promesse d’un contrepoison, l’antidote à « l’hyperprésidence » et le début d’une re-normalisation de la fonction. 2012 serait l’année du changement : « celle de la réforme fiscale et de la justice sociale » et du « redressement moral autour des valeurs de la République froissée ces dernières années ».

Dans la com’ de Hollande, la normalité devient un dogme – le   »normalisme » – qui s’appuie sur une redéfinition de la morale publique. Durant la campagne présidentielle, la normalité incarnée par le futur Chef de l’Etat se résume iconiquement dans Voici par un François Hollande faisant ses courses dans une supérette parisienne.

 

Mais une fois entré en fonction, la posture normale s’avère rapidement intenable. Le soir même de son élection, François Hollande décide de rejoindre Paris en jet privé. Des avions médicalisés accompagnent le Président dans la plupart de ses déplacements. Même quand il prend le train. Au début, le Président se rend sur les plateaux des chaînes de télévision, « pour respecter leur indépendance ». Mais il finit par les convoquer à l’Elysée pour une conférence de presse, dans la plus pure tradition de la Cinquième République. Un exercice, par ailleurs, réussi. La « Première dame » veut être une « femme normale ». Mais elle dispose, comme toutes les autres, d’un bureau à l’Elysée, d’où elle envoie ses articles à Paris Match. Promettre la normalité est une chose. Encore faut-il pouvoir l’inscrire dans une réaité.

 

François Hollande a emporté la Primaire socialiste sur un discours de centre-gauche. Il a gagné la Présidentielle sur l’anti-sarkozysme. La France, fidèle à sa tradition de « démocratie punitive », a sanctionné le Président sortant. Mais a-t-elle, pour autant, renié son champ de valeurs ? Quelle est la normalité en France, « ce vieux pays de droite », comme le clamait François Mitterrand ?

Avec 30% d’opinion favorables, il détient la plus mauvaise cote de popularité de tous les présidents de la Cinquième République. Il semble hésiter, sur des dossiers comme le Mariage pour Tous, qui réunit dans la rue des troupes venues de l’UMP et du FN. Il fait face à une opinion avec un agenda très marqué à droite, où s’il on en croit la dernière enquête d’Ipsos intitulée « France 2013 : les nouvelles fractures », réalisée avec le Centre d’études politiques de Sciences Po (Cevipof) et la Fondation Jean-Jaurès, la demande d’ »autorité » est très forte. Cette logique dominante semble, aujourd’hui, rattraper François Hollande.

C’est, peut-être, ce qui explique l’abandon de la « normalité » par l’Elysée, et le paradoxe d’un président socialiste, élu sur un discours de gauche, dont les principaux piliers médiatiques sont, à l’Intérieur, un Manuel Valls au discours sécuritaire séduisant l’électorat de droite, et à l’international une offensive militaire dans une ancienne colonie d’Afrique francophone.

Un « effet Sérillon » ?

Pour négocier ce virage et mieux « vendre » François Hollande aux médias, l’Elysée vient de recruter Claude Sérillon. Rappelons qu’après la primaire PS, Manuel Valls fut le véritable spin doctor du futur Président. Révélation de ce début de quinquennat, les talents de communicant du ministre de l’intérieur se concentrent désormais sur sa propre com’ et son départ a laissé un vide.

Ancien journaliste de France 2, Claude Sérillon intervient donc en urgence. Insider du PAF, perçu comme « sympa », son objectif est de dynamiser le duo d’instituteurs très « Troisième République » de Hollande et Ayrault. Il s’agit de substituer des interventions « marquantes », « impactantes » aux interventions « pédagogiques » – et il faut bien le dire soporifiques – du tandem exécutif. Claude Sérillon sait ce qu’est un « bon client ». Habitué du divan rouge de Michel Drucker, il s’y est rendu célèbre par ses fou-rires. Ce n’est pas un homme de l’ombre, mais un homme des plateaux.

 

Aucune comparaison possible avec les communicants Jacques Pilhan et Gérard Colé, appelés en renfort par Mitterrand en 1983 pour négocier le tournant de la rigueur. Jacques Pilhan et Gérard Colé étudiaient les Français à la loupe, à coups de focus groups et de sondages, avec un budget propre et une équipe dédiée. Ils avaient élaboré une stratégie complexe qu’ils déployaient dans le temps. Ils ont, à leur échelle, révolutionné le monde de la communication politique. Claude Sérillon, lui, est avant tout un « facilitateur médiatique ».

Il devra composer avec l’indispensable Christian Gravel (à droite sur la photo). Ancien bras droit de Manuel Valls, cheville ouvrière de la campagne, ce « Samouraï de la République » – il est champion d’arts martiaux et a la réputation de ne vivre que pour son travail – veille à la com’ Elyséenne. Si la maison tient, dit-on à l’Elysée, c’est grâce à lui.

 

L’homme de la Présidence

 

Alors que la pluie, lors de son investiture, vint symboliquement souligner qu’Hollande serait privé d’état de grâce, les débuts du quinquennat furent pour le moins chahutés : du « Twittgate » de Valérie Trierweiler à l’affaire Cahuzac, en passant par l’imbroglio – l’impossibilité de définir une position claire – autour du mariage pour tous…

 

L’élément le plus fort de la communication de Nicolas Sarkozy consistait à endosser les habits du manager de crise, en feignant de propager une culture du résultat axée sur un pragmatisme de l’action. Hollande, lui, joue un rôle de médiateur, la concertation étant sa dimension privilégiée. Mais le pendant négatif de ces qualités est de donner l’impression de valoriser le consensus mou. Sur le mariage gay, ses atermoiements et son souci de concilier des camps radicalement opposés a débouché sur un enlisement sans précédent. Là où le Président, doté d’une majorité historique, aurait dû trancher.

Une idée reçue veut que la Présidence transforme l’homme. Soit. Mais gagner en stature ne se décrète pas et l’exercice présidentiel semble souvent écraser François Hollande. Sans avoir l’aisance tribunicienne de certains de ses ministres – comme Arnaud Montebourg ou Christiane Taubira -, il excelle dans le registre du « dry wit », l’humour pince-sans-rire, et sait mettre une salle de son côté. Mais il est mal à l’aise à la télévision, où il adopte de façon scolaire les codes de la communication élyséenne – avec un ton froid, sérieux, solennel qu’il a du mal à assumer. Autrement dit, il n’a pas encore trouvé son style.

 

« Détruire les terroristes »

 

François Hollande trouvera-t-il son style dans la guerre ? Dans la guerre au Mali ? Dans un registre tout à fait inhabituel, le Président s’est engagé à « détruire les terroristes ». Cette petite phrase, préparée à l’avance, est volontairement martiale. Elle cible un ennemi désigné, les « terroristes ». Elle présente, en réalité, deux qualités pour l’Elysée. D’abord, elle ne rend pas compte de la situation de guerre au Mali et dédramatise l’intervention en la rabaissant au niveau d’une simple intervention de police. Ensuite, elle permet de lier la situation internationale à la situation intérieure. En quelques mots, François Hollande dit aux Français que l’intervention les concerne directement, qu’il ne s’agit pas vraiment d’une guerre – dans laquelle on pourrait s’enliser, qui coûterait cher, etc. -, et que la France ira jusqu’au bout. Il incarne avec détermination la défense de l’intérêt national.

 

C’est très habile. D’autant que la surprise est totale. Hollande cherche des habits de Président à sa taille et opte in fine pour la tenue militaire. Qui l’eût cru ? L’image de Montebourg avec sa marinière est remplacée par celle du soldat à la tête de mort. Le choc des photos. Le consensus mou fait place à l’unité nationale. Des figures de droite, comme Alain Juppé, viennent en renfort. La presse fait bloc derrière le chef de l’Etat. La barre est redressée. En tous cas, pour la première fois, François Hollande parvient – pour combien de temps, nul ne le sait – à donner du sens à son action par un récit fédérateur, qui le place en position de commandement.

 

Pour plagier les mots du malheureux « discours de Dakar », jusqu’à l’intervention au Nord-Mali, Hollande n’était pas entré dans l’histoire. C’est désormais chose faite. On retiendra que cette entrée s’est effectuée par un conflit armé.

 

 

 

Nicolas Baygert & Philippe Moreau Chevrolet

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