Un roi normal ?

En dépit de conditions de direct épiques, j’ai eu l’occasion de commenter (lire : meubler) la soirée du 21 juillet en direct du QG de campagne de la RTBF, Place des Palais, entièrement « c’est-du-belgisée » pour l’occasion. Exercice peu académique, me stimulant à compléter ci-dessous les quelques éléments transmis en direct.

Parenthèse médiatique 

En ce 22 juillet, un premier bilan médiatique paraît utile. Il s’agit en premier lieu de faire abstraction du traitement médiatique hagiographique omniprésent depuis l’annonce de l’abdication. Un journalisme essentiellement festif et commémoratif : une hystérie monarchiste en boucle. Une féérie  qui promettait de ressouder la communauté nationale (oxymore). Une transition certes heureuse, bien moins traumatisante qu’il y a 20 ans, le pays étant alors endeuillé par le trépas du roi Baudouin. Bref, la Belgique a savouré son moment Disney : un rêve sucré flirtant avec le risque de diabète.

Belgoverdose. Comme l’évoquait déjà Philippe Muray : « la commémoration est une excellente méthode d’épuisement festif d’un sujet ». Autant dire qu’au vu des efforts médiatiques déployés, la monothématique de l’abdication fut inoculée au forceps. L’ensemble des rédactions subitement paris-matchisées déployèrent leurs rabatteurs de micros-trottoirs aux quatre coins du royaume. Subversion proscrite, ne pouvait subsister que l’émotion ; ordre de se plier au sacro-saint pathos royal.

Pourtant, on se souvient que 2013 n’avait pas bien débuté. Ces 6-7 derniers mois laissaient en effet présager une « annus horribilis » telle que la vécurent les Windsor en 1992 (3 divorces princiers et un incendie). Dans le désordre : l’affaire Fons Pereo débouchant sur la mise à l’agenda de la réduction de la dotation des membres de la famille royale ; la trainée de soufre laissée par la sortie d’ouvrages critiques (en particulier celui de Frédéric Deborsu [1]) ; la polémique autour du discours d’Albert II et la séquence « année 30 » ; le retour tonitruant de Delphine au premier plan et l’évocation de tests ADN (Philippe et Astrid concernés, pas Laurent – autre coup bas) ; l’évolution vers une monarchie protocolaire et bien entendu l’abdication d’Albert II, longuement annoncée et in fine programmée au moment idéal.

L’ombre d’Elio 

Sans revenir sur la mise en orbite en 2 temps du récit d’abdication, d’ores et déjà analysée ici – il s’agissait bien du timing idéal pour opérer ce type de transition : la possibilité laissée à Philippe de s’habituer à son nouveau rôle de souverain avec un Premier Ministre Laeken-Friendly, Elio Di Rupo, qui dispose de toute la confiance du Palais – comme maintes fois signalé par Albert II himself durant ses allocutions d’adieu.

Un Elio Di Rupo, personnellement remercié par le roi, qui d’ailleurs ressort gagnant de cette transition monarchique. Un Elio se fondant tout entier dans le folklore royal, devenant lui-même partie prenante de la symbolique belgicaine. Evolution cocasse pour un homme élu et réélu à la vice-présidence de l’Internationale socialiste (pas forcément pro-monarchiste dans ses statuts et son histoire).

À rappeler également que les derniers mois précédant l’annonce de l’abdication furent l’occasion d’une opération de charme sans égal concernant le toujours Prince Philippe. Objectif : engranger un capital sympathie en un temps record en misant sur l’oubli des foules. Evacuer à tout prix l’image pour le moins maladroite du passé. Au vu du « sans fautes » de ce 21 juillet, la transformation paraît réussie. Après 53 ans de chrysalide princière, le papillon royal semblerait, au vu de certains commentateurs, s’être bel et bien envolé.

Jamais sans Mathilde 

Le succès de ce re-branding royal tient en grande partie au rôle primordial joué par la désormais reine Mathilde. Mathilde, qui depuis son intégration dans l’entre-soi des Saxe-Cobourg-Gotha, agit comme béquille communicationnelle sur laquelle Philippe peut et pourra à tout instant s’appuyer. Une logopède à domicile pour parfaire ses discours ? Un luxe dont ne pouvait que rêver le roi Georges VI.

À voir l’engouement médiatique autour de la nouvelle reine (un air de Jackie Kennedy ou de Princesse Grace, évoquent certains médias), on ne peut s’empêcher de songer au glamour entourant certaines First Ladies. Particularisme autrefois réservé aux Etats-Unis (où c’est un couple qui entre traditionnellement à la maison blanche) une certaine généralisation de la fonction s’observe désormais à l’international. Des First Ladies qui n’ont bien sûr aucune légitimité démocratique mais disposent – tabloïdisation de la vie publique oblige – d’une légitimité médiatique. De la même manière, juridiquement, il n’y a pas de reine des Belges (du moins jusqu’à ce qu’un jour, Elisabeth monte sur le trône) – mais son rôle n’en demeure non moins essentiel.

Là où la Flandre dispose de ses BV, Mathilde fait figure de caution People essentielle à la marque Belgique et devra ainsi continuer à dépoussiérer l’image de son époux – à noter que toute déficience ne peut être colmatée par un sourire. Aussi, bien qu’ayant Mathilde à ses côtés, le roi Philippe ne peut se contenter de déclencher l’autopilote.

Un chantier (RER) qui débute 

Le moment semble d’ailleurs propice pour faire évoluer l’image de la monarchie. Ainsi le roi devra continuer à « muscler » sa communication et gommer une gestuelle jusqu’ici crispée. De la proximité, de l’humilité, des bains de foule, des bisous, certes. La posture de « roi normal » ne suffira pas (à l’instar du normalisme de François Hollande). Il sera également indispensable de travailler la profondeur et la spontanéité du discours, afin de « rassurer » et d’incarner au mieux le rôle symbolique du chef de l’Etat, par-delà les divergences, tensions et conflits qui caractérisent d’ordinaire le marasme démocratique belge.

Or, le casting du « nouvel entourage » royal ne laisse rien présager de révolutionnaire, tel que le démontre la nomination du Baron Frans Van Daele, 65 ans, jadis au service des Premiers ministres Jean-Luc Dehaene, Guy Verhofstadt, Herman Van Rompuy et Yves Leterme, et ayant terminé sa carrière fin 2012 comme bras droit du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. [Bien évidemment] étiqueté CD&V, la brise fraîche tant espérée ne viendra pas de cet homme là.

Concernant la cellule communication, là aussi : « continuité avant tout ». C’est en effet Pierre-Emmanuel De Bauw, ancien conseiller de presse du roi qui sera nommé directeur Media et Communication du Palais royal à partir du 1er août avec pour adjointe Rafike Yilmaz, actuellement conseillère de la – un tantinet – austère ministre de l’Emploi Monica De Coninck.

On reste ici très éloigné des nouvelles pratiques communicationnelles d’outre-Manche avec l’ancien journaliste du Financial Times et ex-DirCom de Manchester United, Paddy Harverson aux commandes de la com des Windsor… À suivre donc.

[1] F. Deborsu, Question(s) Royale(s), Bruxelles, Renaissance du Livre, 2012.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :