Entretien (par téléphone) dans la Libre Belgique paru le 14 octobre 2013.
« Il ne faudrait pas voir l’euphorie autour des Diables Rouges comme des soins palliatifs pour une Belgique en phase terminale. »
Nicolas Baygert, expert en communication, professeur en communication à l’Ihecs et chercheur à l’UCL nous parle des Diables et… de Stromae.
De quelle nature est cette euphorie?
Il ne faudrait pas voir l’euphorie autour des Diables Rouges comme des soins palliatifs pour une Belgique en phase terminale. Il ne faudrait pas non plus la voir comme la panacée à nos problèmes communautaires. On peut, en revanche, constater une inversion du phénomène de belgo-scepticisme observé ces dernières années. C’est d’abord lié à une communication assez implacable de la part des Diables Rouges. J’y ajouterais aussi le phénomène Stromae. On a là deux « success-stories » médiatiques qui convergent et viennent soutenir ce que je qualifie de nouveau roman national autour de l’identité belge. On a affaire, d’une certaine manière, à un récit positif qui bat en brèche le pessimisme ambiant des dernières années.
Peut-on parler de néobelgitude?
Il y a une différence avec la belgitude des années 1970 et 1980, qui faisait davantage référence au surréalisme et à l’autodérision. Aujourd’hui, on a effectivement une forme de néobelgitude qui a trouvé, dans des personnalités telles que Vincent Kompany et Stromae, un nouveau carburant. Ce sont de nouvelles icônes, reconnues en Belgique comme à l’étranger, qui contribuent à une refondation de l’identité belge avec des leaders d’opinion issus, en partie, de la mixité culturelle. D’où les comparaisons, d’ailleurs, avec la France et l’équipe bleu-blanc-beur [NDLR : black-blanc-beur] de la fin des années 1990.
C’est le symbole d’une nouvelle génération?
On assiste à l’émergence d’un patriotisme décomplexé qui désamorcerait les combats communautaires. Il y a une coupure assez fondamentale entre la population et ses représentants (politiques, syndicaux, spirituels, etc.). Les modèles auxquels adhère la population sont aujourd’hui davantage à trouver dans les sphères de la culture et du sport. Lors de la Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le 27 septembre dernier, on a pu assister à un télescopage entre ce que le monde politique tentait de faire passer comme message et Stromae qui, en deux phrases, a atomisé cette communication politique incarnée par Rudy Demotte (nationalisme wallon, mérites wallons,…). En fait, le seul qui a compris qu’il était possible de capitaliser sur ce nouveau roman national belge, c’est Elio Di Rupo. Il s’est complètement fondu dans le nouveau folklore belge, avec ses joyeuses entrées dans les universités flamandes et francophones, sa présence en Croatie, la mise en avant des talents belges.
Le monde politique est-il déstabilisé?
Oui. La réalité politique est clairement régionale et communautaire. On se distribue les compétences. Une autre réalité, portée et amplifiée par les médias, est celle de l’euphorie que l’on connaît actuellement dans le sillage des Diables Rouges.
Cette génération Kompany/Stromae, quelles valeurs véhicule-t-elle?
C’est d’abord le talent, individuel et collectif. On a aussi, à travers une mise en scène très soignée, des valeurs liées à la jeunesse, à l’esprit de combativité et de réussite. Le tout s’inscrit dans un récit positif et d’avenir qui tranche avec le marasme du passé.
Ce récit peut-il durer ou risque-t-il de s’interrompre brutalement?
Même si elle peut être nourrie artificiellement par des experts en marketing et en communication, il y a une réelle histoire d’amour qui a pris racine. C’est notamment frappant quand on va sur les réseaux sociaux, où un rapport direct s’est noué entre le public et les nouvelles icônes du sport ou de la culture populaire. Il y a là un rapport beaucoup plus décomplexé qui participe à l’élan collectif d’euphorie. Il y a une authenticité qui contraste avec toutes les tentatives artificielles du monde politique pour tenter de construire une identité francophone, wallonne, voire même flamande [NDLR : cette dernière réflexion ne traduit pas fidèlement mes propos – cf. ce billet].
Cet engouement n’est-il pas avant tout bruxellois et francophone?
Peut-être. Il ne faudrait toutefois pas minimiser l’engouement du côté néerlandophone. Mais il peut très bien cohabiter avec le récit tournant autour de l’identité flamande. Les identités ne s’annulent pas, elles se superposent. On pourrait juste avancer l’hypothèse que l’engouement actuel puisse faire de l’ombre à un nationalisme d’exclusion qui serait proposé par la N-VA ou d’autres [Ibid.].