Article paru dans Slate.fr le 5 décembre 2014, co-écrit avec mon camarade Philippe Moreau-Chevrolet, communicant et président de MCBG Conseil.
La reconduction à 100% de Marine Le Pen n’est pas un handicap pour le FN, dont l’imagerie digne d’une monarchie héréditaire constitue peut-être l’une des clés du succès.
Lors de son passage sur TF1, dimanche 30 novembre, Nicolas Sarkozy, fraîchement réélu à la tête de l’UMP, a raillé la «curieuse conception des élections» du FN. « J’ai appris qu’il y avait 17 personnes qui s’étaient abstenues. Quelle curieuse conception des élections. Un candidat, pas d’opposant: c’est plus facile de gagner les élections.» Le Front national serait un parti dynastique et autoritaire, loin de l’idée que l’on se fait d’un «parti moderne». Un cinglant procès en népotisme, difficilement réfutable.
«Que voudriez-vous? Un parti politique où l’on se succède de père en fille, de fille en petite-fille, où il n’y a pas le droit d’avoir d’autres candidats?» faisait encore mine de s’interroger l’ex-Président face à une Claire Chazal absente, plus sparring-partner ou punching-ball qu’intervieweuse.
A-t-on assisté à un simulacre d’élection interne comme le laisse entendre Nicolas Sarkozy?
Le score de Marion Maréchal-Le Pen, arrivée première dans les votes des militants pour le Comité central du parti, donne bel et bien l’impression d’assister, sur le plan symbolique, à l’avènement d’une monarchie partisane héréditaire au sein du paysage politique français. Mais loin de constituer un handicap, et contrairement à ce que semble penser Nicolas Sarkozy, cette imagerie constitue peut-être l’une des clés du succès du FN auprès des Français –un comble pour une nation régicide.
Un «plébiscite» au sens mérovingien
Tandis que l’ensemble du champ politique semble s’être converti au principe des primaires –importé des États-Unis, où paradoxalement la notion de «dynastie politique» est inscrite dans les mœurs–, la conception frontiste de la démocratie partisane paraît à première vue anachronique. Mais à première vue seulement.
Car en réalité, le FN puise sa légitimité dans un terreau plus ancien et tout à fait français: une légitimité dynastique, privilégiant l’autorité consanguine.
Comme l’explique l’historienne Régine Le Jan, «les formes de légitimation du pouvoir relèvent entièrement du système de représentation des sociétés qui les imaginent. Elles constituent un ensemble symbolique qui s’exprime à travers des formes particulières et changeantes de communication politique».
Ainsi, l’élection de Marine Le Pen, réélue avec 100% des voix, constitue une élection purement symbolique, rappelant des temps immémoriaux où les monarques étaient effectivement «élus» par leurs guerriers et «élevés sur le pavois», «selon la coutume des Francs». Son élection est un «plébiscite» au sens mérovingien. Après le retour au franc, le retour aux Francs?
Chez les Mérovingiens, la succession était déterminée par une combinaison des principes héréditaire –la transmission du nom dynastique– et électif. Pour sa légitimation, la royauté nécessitait un rituel exprimant et créant le consensus, manifesté par l’élection du roi par ses guerriers. À travers l’élection –ou élévation–, les Francs se constituaient «un roi au-dessus d’eux».
L’élection était donc bien un simulacre: un jeu symbolique dans lequel le chef se voyait porté en triomphe. Mais un simulacre créateur de légitimité.
On comprend ici toute l’amertume d’un Nicolas Sarkozy qui espérait lui aussi être élevé sur le pavois comme en 2004, et qui doit cette fois-ci se contenter de 64,5% des voix. C’est-à-dire, somme toute, d’un score relevant d’une élection réellement démocratique.
Le fait que l’ensemble des commentateurs aient jugé ce résultat décevant indique bien que ce qui était attendu de la part de Nicolas Sarkozy était un simulacre d’élection. Et que le fait qu’une élection réellement concurrentielle se soit produite est, paradoxalement, perçu comme un facteur de délégitimation de son pouvoir. Certes, il a obtenu la majorité des voix. Mais que vaut la majorité, là où il aurait fallu l’unanimité?
Cette logique est d’ailleurs assumée par Marine Le Pen, qui n’a nullement cherché à prétendre qu’une élection démocratique aurait été préférable. Au contraire, elle voit dans son élection à l’unanimité le gage d’une «ligne politique cohérente, claire, adoptée par l’unanimité [des] adhérents et [des] électeurs» et d’un «parti en ordre de marche».
Le FN, formation post-démocratique ou néo-franque?
Cette résurgence des attributs de la monarchie franque survient dans un contexte français particulièrement pauvre sur le plan symbolique. Celui d’une présidence «normale», ayant d’emblée renoncé à toute dimension mythique.
On peut dire que le principal handicap de François Hollande est d’être en panne de symbole. Cette «panne symbolique» se traduit par une incapacité à produire du sens. Un sens qui corresponde aux attentes de son camp –au «destin» historique de la gauche–, et aux attentes du pays dans son rapport avec ses dirigeants.
En 1981, François Mitterrand dépose une rose au Panthéon et abolit la peine de mort, contre une opinion réputée hostile. En 2012, pour le retour de la gauche à l’Elysée, François Hollande défile trempé sous la pluie et plaide pour la «liberté de conscience» devant l’opposition de quelques maires hostiles au «mariage pour tous».
On le voit, le décalage dépasse la simple question de l’autorité, ou de l’incarnation d’une «figure présidentielle». C’est la relation même du Président avec le pays qui est atteinte.
Cette panne ou cette paresse symbolique n’est pas l’apanage de la gauche. Elle a aussi marqué les débuts de Nicolas Sarkozy au pouvoir, en 2007. Avec des conséquences tout aussi graves. Comment peut-on, après avoir été élu par près de 20 millions d’électeurs, en pleine crise, aller dîner au Fouquet’s en faisant attendre ses partisans Place de la Concorde? Comment peut-on négliger, à ce moment-là, et durant les premiers mois de sa présidence, de produire du sens? De fabriquer du symbolique? A ce moment précis où toute la nation a les yeux rivés sur son nouveau chef, où l’exaltation de son propre camp est la plus forte? Où l’impact, par conséquent, de toute image sera la plus dramatique?
Ce refus ou cet oubli du symbole vide l’élection de son sens, en la réduisant à une logique purement arithmétique, ou pire, à un examen scolaire, que l’on peut aller célébrer une fois obtenu. C’est oublier que l’élection a un sens beaucoup plus profond, beaucoup plus mythique, beaucoup plus souterrain. Un sens que, dans cette vacance symbolique du pouvoir, le Front national a su comprendre et capter à son profit.
Le FN rétablit une symbolique du pouvoir
Soucieux de «réenchanter le politique», à sa manière, le Front National rétablit une symbolique du pouvoir. Dans une logique «post démocratique» ou «néo franque», il présente la nation comme une famille – «Je préfère mes sœurs à mes cousines, et mes cousines à mes voisines»–, qu’il incarne par l’exemple.
C’est ce qui donne toute sa force à la dynastie Le Pen, reproduisant d’une manière implicite un modèle monarchique, renvoyant à une image partagée de la constitution «originelle» et du peuplement «primitif» du pays.
On assiste avec la montée en puissance de Marine et Marion Maréchal-Le Pen à une résurgence du modèle «ethnogénétique», plaçant la royauté au cœur même du processus de formation des peuples: la royauté serait le «noyau de tradition», comme l’explique Régine Le Jan.
Florian Philippot, qui après avoir raté son parachutage en Moselle, rate son élection par le Comité central, est loin d’être désavoué. Il est simplement rappelé à son rôle. Celui de clerc, de Saint Rémi mariniste, garantissant la conversion du clan au gouvernementalisme. Un rôle qui ne peut être qu’extérieur, ou périphérique, à la famille.
Cette assimilation de la France à la famille, et à une famille en particulier, séduit l’électorat conservateur. Un électorat qui, comme l’explique le linguiste américain George Lakoff, se reconnaît dans le modèle «strict» de la famille. Une famille autoritaire, volontiers punitive et patriarcale.
Dans une société où l’homme est considéré «comme un loup pour l’homme», la famille demeure la mesure ultime de l’ordre social. La matrice où doivent se résoudre les conflits de la société. Ce moteur symbolique a été, et demeure, l’une des clés du succès des conservateurs, aux Etats-Unis comme en France. C’est dans ce sens que la figure de Jean-Marie Le Pen, loin de constituer un handicap, demeure pour le FN un pilier indispensable de sa communication.
Quid dès lors du procès en népotisme? Outre l’atout marketing que constitue une «marque filiale» comme Le Pen, l’héritage patronymique, loin d’être une tare, se présente comme gage de légitimité. La transmission héréditaire garantirait continuité, stabilité et respect des engagements. Le patronyme fixerait un système de pensée. Ainsi, comme chez les anciens Francs, le nom Le Pen est à la fois outil identitaire et programme politique.
La victoire de Marine et Marion Maréchal-Le Pen au Congrès du FN est donc un couronnement symbolique. L’installation de la dynastie Le Pen est achevée. Elle est désormais aux portes du pouvoir.
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