Entretien paru dans Le Soir, le lundi 16 février 2015.
Nicolas Baygert, Docteur en information et communication à l’UCL, souligne le caractère professionnel de la communication de l’État islamique (EI). Le groupe terroriste a imposé sa patte, y compris via les groupes qui lui ont fait récemment allégeance en Égypte ou en Libye. Il estime que la présence de francophones dans la vidéo qui menace directement la Belgiquedémontre « le pouvoir de recrutement » de l’organisation.
Que vise l’État islamique (EI) avec cette nouvelle vidéo en français qui menace directement la France et la Belgique ?
« Il y a une volonté manifeste d’installer un climat anxiogène. Ce climat est alimenté, mois après mois, de messages, de vidéos. Et ces messages sont à chaque fois dédiés à des populations ciblées. Dans la vidéo dont on parle, on s’adresse aux francophones. L’objectif est de développer un climat de peur, de jouer sur les affects. L’effort de communication n’est jamais relâché. »
Le groupe terroriste a-t-il changé de stratégie de communication ces derniers mois ?
« Ce qui frappe c’est la sophistication de cette communication. Il y a vraiment une ‘marque’ État islamique. Cette stratégie de communication, le groupe a incité ses membres à la décentraliser. C’est-à-dire qu’elle demandait à tous ses adeptes d’émettre des messages de leur côté. Depuis quelques mois on a affaire à des productions beaucoup plus léchées : des vidéos, assez courtes, ultra-violentes et avec une dimension mystique. On note une professionnalisation de la communication.
Pour preuve, on a vu à l’automne dernier la sortie d’un film documentaire avec un teasing, comme une grande production. Le groupe a engagé des chargés de com’. Et il y a quelques mois, l’EI a autorisé une équipe de Vice News à venir filmer en territoire conquis. Ils portent une attention particulière à créer du ‘buzz’. C’est devenu une sorte de franchise – comme Mc Donalds ou Starbucks – mais une franchise de l’horreur. C’est-à-dire que tous les supports de communication ont les mêmes codes, la même mise en scène, les mêmes costumes. Ils ont uniformisé leur discours. Surtout, ces codes ont été intégrés par d’autres groupes, qui ont fait allégeance à l’EI. Faire allégeance à l’EI, c’est désormais reprendre son ‘cahier des charges’ et sa charte graphique. »
Et tout cela s’intègre dans une stratégie de recrutement…
« Bien sûr ! On le voit, notamment, quand les djihadistes utilisent des hashtags en anglais, que ces messages sont retwittés en masse par les comptes Twitter qui colportent ces discours. En cela ils se rapprochent des méthodes de marketing commercial.
Dans le ton et la mise en scène, on s’adresse particulièrement aux jeunes occidentaux. On les incite à s’immerger dans un univers, un discours, une marque. Le but est d’attirer de nouveaux combattants. »
Les menaces proférées dans la dernière vidéo sont-elles crédibles ?
« Naturellement, sur la question des risques, il faudrait poser la question à des spécialistes du renseignement et de la menace terroriste. Mais ce qu’on peut dire, c’est que ces menaces s’inscrivent dans un argumentaire qui est déployé depuis un certain temps. Il est très difficile d’avoir des preuves de ce qu’ils avancent, mais ces menaces ne sont pas à prendre à la légère, on l’a constaté à Paris. Il suffit d’écouter le long monologue d’Amédy Coulibaly qui justifiait dans une vidéo le meurtre d’une policière municipale et qui proférait des menaces, à quelques heures de son passage à l’acte au supermarché cacher.
La provenance des gens sur la vidéo postée dernièrement n’est pas anodine : ce sont des ‘importés’, des jeunes qui viennent de nos villes, de nos pays. Cela montre le pouvoir de recrutement de cette organisation. »
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