Comment les réseaux sociaux transforment la communication politique

Interview pour La Libre Belgique, parue le 12 mars 2021. Propos recueillis par Antoine Clevers.

Nicolas Baygert enseigne la communication politique à l’Ihecs et Sciences Po Paris. Il décrypte la prestation du Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD), mercredi soir, sur Facebook, ainsi que la manière dont les politiques se saisissent des réseaux sociaux.

Le Premier ministre a-t-il réussi son exercice de communication ?

Difficile à dire. Ce qui est intéressant dans l’usage d’une plateforme comme Facebook, c’est que ce n’est pas un médium linéaire comme la télévision. L’idée, aujourd’hui, pour maximiser l’audience, c’est de sortir du carcan télévisuel. Les vidéos peuvent être regardées en différé, elles vont toucher d’autres publics… Son allocution était assez classique, avec un ton et un style qui ne diffèrent pas de ce que l’on voit à la télévision, mais il a adopté le régime affectif, des émotions, en faisant appel à l’expérience personnelle d’un jeune garçon ( qui se demandait s’il allait pouvoir aller en classes vertes, NdlR ). Et cela, c’est neuf, alors qu’on avait pu reprocher à Alexander De Croo une communication très factuelle, désincarnée. Cela dit, il n’a pas dévié du storytelling du gouvernement. Dans

la séance de questions-réponses qui a suivi l’allocution, il a répondu aux questions qui ne mettaient pas en danger la narration du gouvernement.

C’est la partie la moins réussie de son intervention ?

En effet. Il s’est livré à un exercice dans lequel il n’y avait pas de déstabilisation. Il avançait avec un filet de sécurité. C’est pour cela que, aujourd’hui, on voit beaucoup de politiques opter pour une plateforme comme Twitch, qui permet un supplément d’authenticité parce que le politique se met davantage en difficulté. Sur Twitch, il y a la possibilité d’être interrompu, contesté. La majeure partie
de l’action se passe sur le tchat à côté, dans lequel il y a énormément de questions, où l’on peut être insulté, moqué. Le politique se met davantage en difficulté. Mais, dans tous les cas, le but de toutes ces initiatives (sur Facebook, Twitch, Twitter, TikTok, etc.), c’est de travailler son image politique, de se rapprocher d’un électorat qui n’est plus forcément capté par les médias traditionnels, et donc d’augmenter la portée de son message.

L’une des conséquences de cette communication, c’est la perte d’influence des médias traditionnels.

Bien sûr. Les réseaux sociaux permettent de court-circuiter le filtrage journalistique et la vérification des propos. Sur ces réseaux, on sert un peu la soupe. Les gens qui interagissent n’ont pas nécessairement les codes de l’interview politique qui permettent de mettre l’interlocuteur en difficulté. C’est facile pour un politique de dérouler son discours sans être inquiété.

Les partis traditionnels essayent de rattraper sur les partis extrêmes (Vlaams Belang et PTB) leur retard sur les réseaux sociaux que l’on avait constaté lors de la campagne électorale de 2019. Mais n’est-ce pas une bataille perdue d’avance puisque les partis traditionnels auront, a priori, des messages plus nuancés qui seront moins partagés et moins visibles que les messages radicaux ?

Effectivement, des plateformes vont toujours avantager des contenus politiques plus radicaux. Le politique mainstream aura plus de mal à trouver des formats convaincants, sauf à agir comme un modérateur sur des plateformes qui deviennent en quelque sorte des lieux de démocratie participative, mais qui ne concernent que peu de monde. Une vidéo marrante mais très radicale d’un Tom Van Grieken (président du Vlaams Belang) va toucher beaucoup plus de monde. Si on prend le cas d’Elio Di Rupo (ministre-Président wallon, PS) sur TikTok, il a son équipe de communication, des interventions formatées. On mise aussi sur les messages ludiques. Ça peut fonctionner, mais le fond passe au second plan, avec le risque de perdre en crédibilité. Le Belang ou le PTB vont faire un usage stratégique des réseaux sociaux en s’adressant à un public jeune, qui ne consomme plus les médias comme les autres catégories d’âge. Et en maîtrisant les codes, ils vont pouvoir aller plus loin dans l’utilisation de ces réseaux.A. C.

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