Interview croisée (avec Laura Calabrese – ULB) pour RTBF Info, parue le 16 août 2021. Propos recueillis par Thomas Dechamps.
Le bourgmestre de Dinant, Axel Tixhon (cdH), a annoncé vendredi qu’il démissionnait de son poste de maïeur pour, dit-il, « préserver son intégrité physique« . En trois ans de mayorat, la gestion de la crise covid, suivie de celle née des conséquences des inondations, mais aussi la pression des réseaux sociaux l’ont manifestement épuisé. Une forme de « burn-out politique » qui n’est pas une exception. La politique serait-elle devenue un enfer ? Ses mandataires sont en tout cas plus exposés que jamais. Mais ne sont pas non plus pour rien dans ce climat délétère. Éclairage.
« Mes forces n’étaient sans doute pas suffisantes pour faire face aux défis présents et surtout à venir« , confesse l’ex-bourgmestre de Dinant, évoquant ses trois ans de mayorat « dans des circonstances réellement exceptionnelles« . Des circonstances exceptionnelles qui avaient déjà poussé l’ex-ministre germanophone de l’enseignement, Harald Mollers, vers la sortie en 2020. Menacé et insulté sur les réseaux sociaux, celui-ci affirmait alors qu’ »il n’est plus possible d’avoir un échange d’arguments avec certaines personnes. Le discours est devenu de plus en plus rude« .
Ce week-end, le président du cdH Maxime Prévôt pointe aussi la pression des réseaux sociaux pour expliquer la démission de son collègue bourgmestre : « Je pense que le cycle d’engagement en politique va devenir de plus en plus court parce que nerveusement les gens vont être beaucoup plus rapidement atteints et à bout à cause des réseaux sociaux« , professe-t-il. Plus loin de nous, on se souvient aussi que des responsables politiques, comme l’Ecolo Zakia Khattabi, avaient ressenti le besoin de quitter à un moment donné ces plateformes pour fuir la violence verbale qu’elles représentent. Et au cœur de la crise covid, c’était le « commissaire corona » lui-même, Pedro Facon, qui perdait pied : « Nous ne sommes pas non plus invulnérables au niveau de la santé mentale« , confiait-il alors.
Violence politique et cyberharcèlement
Gestion de crise et réseaux sociaux forment effectivement un cocktail délétère pour des responsables politiques de plus en plus exposés selon Laura Calabrese, la directrice du centre de recherches ReSIC (Sciences de l’information et de la communication) à l’ULB : « Les discours violents s’accentuent toujours en temps de crise« , prévient-elle d’emblée.
« Et ce sont des discours qui aujourd’hui sont tout à fait banalisés. Il y a encore cinq ans, ça commençait, c’était un discours qui existait mais qui n’était pas prédominant. Maintenant il est prédominant. Et évidemment que la crise sanitaire a joué un rôle énorme, d’autant plus que la crise sanitaire a débuté par des ratés venant du monde politique […] Je pense que le contexte est extrêmement important. Rappelez-vous, il y a quelques années on parlait beaucoup de la méfiance envers les journalistes. Et puis la crise sanitaire a tout changé, la confiance est un peu revenue. Et donc maintenant tout revient au politique« , analyse-t-elle.
Un contexte dans lequel les effets les plus pernicieux des réseaux sociaux, malheureusement pas nouveaux et pas réservés au monde politique (loin de là), s’intensifient : « C’est la masse de commentaires qui fait cet effet de meute. Je dis toujours, c’est une petite goutte que chacun apporte mais pour la personne visée cela fait un tsunami« , continue Laura Calabrese.
Pour la chercheuse de l’ULB, il ne faut surtout pas oublier que lorsque l’on parle de « pression des réseaux sociaux », on parle en réalité de personnes bien réelles qui commettent ces actes, « elles n’ont pas toujours conscience d’appartenir à une meute. Je ne les excuserais pas non plus car le commentaire est malveillant à la base mais elles ne se rendent pas forcément compte qu’elles font partie d’une dynamique« , complète-t-elle.
Pris au piège
Pourtant, au départ le monde politique a plutôt trouvé son avantage dans le succès de ces plateformes en ligne qui lui permettent de contourner le filtre des médias dits traditionnels et d’aller rechercher une forme de proximité avec le public. À tel point que ces nouveaux modes de communication sont aujourd’hui presque devenus incontournables : « En tout cas pour toute personnalité publique, qui n’est pas en mesure de convoquer une conférence de presse dès qu’elle le souhaite et qui recherche une forme de publicité, au sens étymologique du terme, donc à rendre publiques ses propos« , observe Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’ULB et l’IHECS et directeur du Laboratoire Protagoras.
Et celui-ci de citer notamment le départ des réseaux sociaux puis le retour sur ces mêmes réseaux de personnalités qui juraient qu’on ne les y reprendrait plus, comme Zakia Khattabi ou la députée Ecolo Margaux De Ré. Et à présent que le contexte a encore changé, l’aubaine s’est parfois transformée en piège : « Si quitter ces plateformes paraît aujourd’hui stratégiquement impossible, on assiste, comme on l’a vu encore avec le cas du bourgmestre de Dinant, à des sortes d’Hara-Kiri professionnels de la part de mandataires qui vont s’effacer eux-mêmes parce qu’ils ne sont plus en mesure de faire face à cette pression« , s’inquiète Nicolas Baygert. « Votre existence numérique se transforme en véritable psychose, vous êtes dans un engrenage toxique et vous n’en sortez jamais parce qu’à toute heure de la journée et de la nuit vous recevez des messages privés, des tweets haineux, etc« , ajoute-t-il.
Des outils à doubles tranchants que le monde politique a cependant lui-même dénaturés en les surexploitant rappelle Laura Calabrese : « Tout le monde n’est pas Donald Trump mais il y a une tendance à la campagne permanente. […] Pas une semaine ne se passe sans qu’ils ne doivent produire des déclarations et ce sont en général des déclarations qui sont de la propagande. Et donc ça les expose énormément. Et ils ont tellement surexploité ces outils qu’il y a aujourd’hui un retour de bâton. Je dis cela sans excuser les trolls bien sûr mais on ne peut pas comprendre ce qui se passe si on ne comprend pas cela« , souligne-t-elle.
Mais où est donc la sortie de crise ?
Un piège auquel il est d’autant plus difficile d’échapper en temps de crise sanitaire, lorsque les annonces politiques deviennent impopulaires et qu’à la campagne permanente doit se substituer une communication de crise beaucoup plus difficile à maîtriser : « La communication de crise peut se faire sur toutes les plateformes mais elle doit être faite par des professionnels. Or, les politiques ne sont pas des professionnels de la communication, surtout en Belgique« , constate Laura Calabrese.
« C’est aussi une question de temporalité« , pointe de son côté Nicolas Baygert. « Lorsque vous réfléchissez à une communication en temps de crise, vous avez normalement une ligne du temps qui est clairement établie et qui va vers une sortie de crise […] or ici, le jugement numérique est tellement instantané et a été tellement fort, les critiques ont tellement fusé sur vous, que le fait d’établir des commissions d’enquête par exemple pour aboutir à une vérité parlementaire plus tard n’a aucune incidence et je peux comprendre que des élus de terrain ne soient pas préparés à ça« , explique-t-il.
Et dans ces crises marathon que sont la pandémie de covid puis les conséquences des inondations en Wallonie, ces élus de terrain se retrouvent en première ligne face aux citoyens et bien souvent seuls pour encaisser les critiques et tenter de rassurer alors qu’eux-mêmes ne voient pas le bout du tunnel.
Arrêter la politique… ou les réseaux sociaux ?
Dans ce contexte, on comprend que le président du cdH, Maxime Prévôt, s’inquiète de voir à l’avenir ses confrères et consœurs quitter toujours plus vite la vie politique. « Il va y avoir un problème de motivation« , appuie Nicolas Baygert. « Des jeunes qui entrent en politique ou des mandataires qui n’ont pas bien vécu cette transition, entre une communication politique plus classique et celle instantanée et personnelle d’aujourd’hui, se retrouvent face à une pression psychologique qui est extrêmement difficile à vivre« , se désole-t-il.
Ce qui soulève la question qui concluait déjà l’annonce de sa démission par Harald Mollers il y a un an : qui, à ce prix-là, sera encore prêt à assumer des responsabilités politiques ?
À moins peut-être que les mandataires ne décident de lever le pied sur les réseaux sociaux plutôt que sur la politique. Car d’autres secteurs sont passés par là et ont emprunté des chemins différents affirme Laura Calabrese : « Peut-être qu’il faudrait, comme le journalisme a eu le courage de souvent se priver d’une section de commentaires parce que c’était extrêmement violent, peut-être que l’on devrait se poser la question dans le monde politique aussi de savoir si on peut vivre sans ces réseaux ou bien les utiliser de manière un peu plus modérée. Est-ce qu’ils ont vraiment besoin de ça ?« , s’interroge la chercheuse de l’ULB.
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