Entretien croisé (avec Nicolas Vanderbiest) pour RTBF/La Première paru le 14 mars 2022. Propos recueillis par Régis De Rath.
Les candidats à la présidentielle sont partout, sur toutes les chaînes d’info, sur tous les réseaux sociaux. Et pour augmenter les chances d’atteindre l’électeur avec une de leurs punchlines, bien sentie, ils et elles se sont équipés de logiciels censés leur faire gagner des voix.
Les données personnelles, nouveau nerf de la guerre d’une campagne électorale
Ce sont des logiciels pour profiler l’électeur et mieux le cibler. Leurs noms : NationBuilder, 50+1, Knocking… Certains auraient déjà fait leurs preuves lors de précédents scrutins, il y a 5 ans. La radio RMC, en France avait révélé comment les militants du candidat à la primaire de la droite Nicolas Sarkozy, débarquaient sans crier gare chez des personnes qui avaient « liké » la page Facebook du candidat ou l’une de ses publications sur Twitter.
Ils avaient utilisé « Knocking », une application qui siphonne les « likes » sur les réseaux sociaux. A la surprise, évidemment, des personnes identifiées, localisées et auxquelles les militants rendaient visite à domicile !
Les données c’est important, vous les conservez, c’est vraiment votre butin de guerre
Croiser des données démographiques et le résultat de scrutins précédents pour estimer là où un candidat a encore des chances de gagner des voix, telles sont les ambitions des nouveaux gourous des campagnes électorales.
Les patrons de ces sociétés start-up affirment optimiser, grâce aux data, le démarchage électoral. Arthur Miller est le patron de 50+1 :
« 50+1 c’est un logiciel d’analyse de l’opinion publique locale. Est-ce que vous devez plutôt parler aux jeunes, aux vieux, aux riches, aux pauvres ? Dans quel quartier vous devez aller faire vos actions de campagne, afin d’avoir le discours le plus efficace possible lors d’une campagne électorale ? », déclarait-il sur RMC.
Nicolas Baygert est docteur en sciences de l’information et de la communication :
« C’est vrai que quantité de formations politiques font usage de ces outils aujourd’hui qui permettent, de façon relativement simple d’avoir davantage d’informations sur l’électorat. »
Et pour lui, les données, les datas, sont désormais le nerf de la guerre dans une campagne électorale.
« Les données c’est important, vous les conservez, c’est vraiment votre butin de guerre. Et à chaque élection évidemment, ça va vous permettre de toucher beaucoup plus facilement, beaucoup plus rapidement les possibles électeurs que vous cherchez à convaincre, encore une fois, dans cette campagne. On va tenter de fidéliser aussi un certain nombre d’utilisateurs et d’électeurs. On va leur proposer par le truchement d’un certain nombre d’activités, parfois de jeux, de questionnaires, etc. de soumettre justement, des données, des informations sur leurs goûts, sur les valeurs qu’ils recherchent, qu’ils veulent voir incarnées par leur candidat. »
Du coup, les campagnes aujourd’hui sont guidées par la demande supposée de la cible plutôt que sur un programme politique clair. Le candidat a tendance à devenir un porte-parole plutôt qu’un leader d’opinion, comme le souligne Nicolas Baygert :
« En 2007, la candidate socialiste Ségolène Royal en France, avait déjà initié ce type de démarche avec une phrase qui m’avait marqué à l’époque : Mes idées sont les vôtres. »
Les réseaux sociaux vont servir de caisse de résonnance. Les GAFAM arbitrent, poussent certaines publications, censurent ou ferment certains comptes. Nicolas Baygert s’interroge :
« La logique algorithmique des plateformes, que ce soit sur Facebook ou ailleurs, c’est de vous permettre une économie de pensée et de vous proposer un contenu qui vous correspond. Moi, je pose la question : est-ce que nous voulons vraiment que la Silicon Valley, notamment, ait ce rôle, aujourd’hui, de gendarme de la parole, de la pensée politique ? Et cette possibilité véritablement de circonscrire le débat démocratique ? »
Cambridge Analytica : une escroquerie médiatique !
Agréger l’électorat, repérer les thèmes porteurs, puis bombarder ces cibles de messages personnalisés, c’est précisément à cet exercice que s’étaient livré les patrons de Cambridge Analytica.
Si je mets le bon contenu au bon endroit, en fait tout peut circuler. Ca ne nécessite pas une grande technicité
Voilà ce que déclarait dans le documentaire » The Great Hack « , Alexander Nix, le patron de Cambridge Analytica :
« Nous avons créé un modèle grâce auquel nous avons pu collecter 4 à 5.000 points de données par personne afin de prédire le comportement de chaque Américain. »
Nicolas Vanderbiest est chercheur en réputation digitale. Il analyse la communication politique :
« Cambridge Analytica c’est une des plus grandes escroqueries médiatiques qui soient jamais arrivées. C’est une campagne marketing qui a trop bien fonctionné. En gros, la boîte disait qu’ils avaient fait élire Trump. En réalité, les mecs étaient 10, ils avaient envoyé un quizz psycho-démographique aux gens qu’ils avaient catégorisé dans 4 grandes familles. Et grâce à ces 4 grandes familles, bam on gagne l’élection ! En fait, c’est du vent, complètement. Je sais qu’on a tout un imaginaire de personnes de campagne qui scrutent des chiffres, des statistiques, et qui disent qu’il faut aller choper des mecs entre 22 et 40 ans qui aiment tel truc, qui jouent au squash et qui font ci. En réalité, ils n’ont pas le temps ! Et on n’a pas encore le truc qui dit concrètement : tu fais ça, ça te fait gagner ça. »
Nicolas Vanderbiest est très sceptique quant au pouvoir de ces logiciels à faire de vous l’élu parmi les élus :
« Les candidats mettent en fait eux-mêmes en scène l’utilisation de ces outils, pour paraître jeunes, pour avoir la campagne la plus dynamique, parce que ça permet aussi d’avoir un traitement médiatique sur votre campagne. Et après c’est logique en fait que les entreprises qui produisent des NationBuilder, ce type de choses, ne vont pas vous dire : mon outil c’est de la merde, il ne fonctionne pas. Ils vont plutôt survendre leur truc ! »
Pour lui, il est plus facile de viser juste avec les outils de la guérilla plutôt que ceux de l’arsenal prétendument nucléaire…
« Quelle que soit la boule puante que vous pouvez avoir sur un candidat, il y a toujours quelqu’un qui est susceptible d’aimer ce contenu et de le partager. Et pendant la présidentielle de 2017, il y avait une désinformation sur Emmanuel Macron comme quoi il était financé par l’Arabie Saoudite. Trois comptes se créent sur Twitter avec des images prêtes à l’emploi et d’autres choses. Et là on voit en fait qu’il y a des personnes qui n’aiment pas Emmanuel Macron. C’est très facile à trouver, en fait, quelqu’un qui n’aime pas Emmanuel Macron… Ca commence à circuler. Et puis quelqu’un avec une grosse audience, qui s’appelle Marion Maréchal-Le Pen voit ça, le twitte, et alors là, pfuit ! énorme audience, pile dedans, et donc ça se partage très rapidement. Mais ça montre bien en fait, qu’avec trois comptes, si je mets le bon contenu au bon endroit, en fait tout peut circuler. Ca ne nécessite pas une grande technicité. Ca ne nécessite pas grand-chose mais ça peut avoir une énorme visibilité. »
Les campagnes électorales ne sont définitivement plus les mêmes aujourd’hui. Entre l’analyse des données personnelles de l’électeur, les trolls russes qui tentent de fausser le jeu… la course à la présidence est semée d’embûches.
Les algorithmes cadenassent nos choix. Les data brokers siphonnent en permanence nos identités numériques. Les cookies nous imposent de troquer nos anonymats pour une publicité mieux ciblée. Les logiciels espions nous observent. Dans 10 ans, les géants du web, les GAFAM, auront probablement collecté à propos de chacun d’entre nous plus de 70.000 points d’information. Sans que nous en ayons forcément conscience… Pour l’instant nous laissons faire, jusque quand ? Une série sur les derniers échos du concept de vie privée réalisée par Régis De Rath, à écouter sur Auvio.
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