Législatives : « Même au pouvoir, rien n’empêcherait le RN se préparer tranquillement pour 2027 »

Entretien pour Planet.fr, paru le 14 juin 2024. Propos recueillis par Marina Torre.

Le RN à Matignon annihilerait-il vraiment ses chances de gagner l’Elysée en 2027? Pas si sûr, analyse Nicolas Baygert, enseignant-chercheur à Sciences Po Paris et spécialiste en communication.

La dissolution de l’Assemblée nationale ouvre une période d’intenses tractations politiques et d’incertitudes pour l’avenir, le plan intérieur comme au niveau international. Diviser pour mieux régner, ou au contraire fermer les yeux sur des querelles passées pour privilégier le rassemblement, séduire de nouveaux électeurs sans risquer de perdre les anciens, faire tomber les masques, trahir. 

En cette période des plus mouvementées, plus que jamais, maîtriser (ou non) l’art de manier les mots et les gestes peut se révéler lourd de conséquences.… Nicolas Baygert, enseignant-chercheur à Sciences Po Paris et à l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales (Bruxelles) partage son analyse des diverses stratégies de communication. 

Planet – La dissolution décidée par Emmanuel Macron, qui ouvre au RN les portes de Matignon, n’a semble-t-il pas fait l’unanimité au sein de son propre camp. Comment interprétez-vous ce choix ?

Cette victoire du RN aux européennes n’avait rien d’une surprise, mais cela ne devait pas forcément déboucher sur le cataclysme que l’on observe. Des commentateurs émettent l’hypothèse d’une volonté de reprendre le leadership sur le récit politique et médiatique. Là où la soirée électorale aurait dû être consacrée à l’exégèse de la victoire du RN de Jordan Bardella, la dissolution change tout. Emmanuel Macron s’est à nouveau replacé au centre des débats. 

Du point de vue de la tactique politique, il prend un pari risqué : miser sur un barrage, un “sursaut” républicain, qui a pu valoir en 2017 et en 2022, mais que plus grand monde ne prend au sérieux. On constate l ’implosion de ce que les chercheurs nomment le “bloc bourgeois” : l’alliance du centre-gauche et du centre-droit, ce groupe, comme Emmanuel Macron l’a décrit lui-même en conférence de presse : “progressiste, démocrate et républicain”, constitué du noyau dur du macronisme. Cette stratégie a au fond toujours misé sur une destruction créatrice, celle de fragmenter la gauche et la droite républicaines à coup de transfuges ou de trahisons. Après avoir  avoir atomisé ces deux camp qui, historiquement ont constitué les deux pôles de la Ve République, il ne reste plus grand chose à détruire que son propre camp

Qu’en est-il de la stratégie de communication de la part du président français ?

L’objectif consiste à rester maître du jeu, seul en scène, comme dans sa en conférence de presse. Celle-ci me semble plutôt contre-productive. Par sa longueur, par le ton employé, le président semble déconnecté des problématiques qui ont fait le succès des partis les plus radicaux. Miser sur l’idée que, dans le pire des cas, le RN arrive premier, gagne les législative et qu’il y ait dans 2 à 3 ans qui restent une sorte d’usure, un rejet de la population face à cette majorité “patriote”, si l’on peut la qualifier ainsi, c’est le pari du sauvetage de l’élection de 2027, afin d’empêcher Marine Le Pen d’arriver à l’Elysée. 

Toutefois, cela repose sur l’idée que le vote RN et Reconquête ! repose sur une “pulsion de transgression”, un ras-le-bol. Le problème, c’est que p enser, encore aujourd’hui, que le vote RN est uniquement un vote de protestation et de défouloir, c’est se tromper et ne pas tenir compte de quantité de recherches sur le sujet. C’est un véritable vote d’adhésion, chez les jeunes notamment il y a un réel enthousiasme du vote, notamment pour Jordan Bardella. Les électeurs pourraient très bien répondre “chiche !” vous pensez que l’on ne va pas voter pour eux ? Eh bien si !

“Il ne sait pas jusqu’où il peut aller trop loin”

Quelles seraient les conséquences de cette stratégie ? 

“Il ne sait pas jusqu’où il peut aller trop loin” disait Jean Cocteau. Comme ce fut le cas avec Vladimir Poutine et l’annonce d’envoi de formateur en territoire ukrainien, on est dans une sorte de simulateur. On fait “comme si cela allait arriver”. En feignant l’effet de réel, il joue clairement avec le feu

Il fait prendre un risque à la démocratie française à la réputation du pays sur le plan international.  La France est regardée comme “‘l’homme malade” de l’Europe”. Un chaos institutionnel risque de se mettre en place.

« Chaos institutionnel » en plein JO

A cela s’ajoute une situation exceptionnelle avec la séquence des Jeux olympiques qui s’ouvrent seulement 20 jours après le second tour des législatives. On ne sait même pas qui sera ministre de l’Intérieur ! Imaginez-vous Jordan Bardella au premier rang en train de regarder Aya Nakamura chanter lors de la cérémonie d’ouverture ?

Avant cela, le mois de juin sera celui du g rand marchandage pour les postes européens, à la Commission européenne, à la présidence du Parlement. On peut imaginer que la France sera bien moins écoutéeSon influence prend un coup dans l’aile depuis cette annonce. 

Qu’en est-il sur le plan intérieur ? 

On peut penser que demain, si le RN arrive au pouvoir, il lance un référendum sur toute une série de questions et obtienne l’assentiment des citoyens. Ce parti obtiendrait dès lors une légitimité qu’Emmanuel Macron n’a jamais eu en gouvernant avec le “49-3”.  Même au pouvoir, rien n’empêcherait donc le RN se préparer tranquillement pour 2027.

Pour les autres formations politiques, entre ralliements et reniements, la communication représente aussi un enjeu brûlant…  

Quelle folie, cette semaine ! La tactique des alliances est intéressante. Edouard Philippe a tenté de ressusciter le ‘“en même temps” du macronisme et revitaliser le “bloc bourgeois”. Et puis il y a bien sûr le LR qui implose entre ceux qui soutiennent l’alliance avec le RN et le camp du “No Pasaran!”, un reliquat du chiraquisme et du gaullisme pour qui il est bien sûr pas envisageable de faire alliance avec l’extrême-droite. Ces deux logiques qui s’affrontent, un parti qui se déchire à quelques semaines d’un scrutin, en général, c’est de mauvais augure pour lui… Finalement le stratège de cette histoire, peut-être un peu malgré lui, c’est Jordan Bardella qui a réussi à semer la zizanie chez les Républicains et à “dézinguer” le zemmourisme avec le “psychodrame” auquel on assiste chez Reconquête.  

« Des camps qui paraissaient irréconciliables peuvent faire montre d’une certaine discipline »

Et à gauche ?

Avec le Nouveau Front Populaire, la Nupes est un peu de retour. Ce qui est intéressant, c’est cette sorte de putsch” de Ruffin pour relancer l’idée d’un rassemblement qui a été immédiatement suivi d’un feu vert.La personne qui s’en sort le plus mal, c’est sans doute Raphaël Glucksmann. 

Se pose la question du “cordon sanitaire” pour les électeurs progressistes qui pourraient se montrer réticents à voter pour des individus ou des formations ayant fait l’apologique de l’attaque du 7-octobre en Israël. La précipitation causée par la dissolution incite ces formations à se jeter dans les bras sans forcément revenir sur les points qui paraissent non négociables. 

Justement, pour rassurer voire convaincre ceux effrayés par l’antisémitisme à l’extrême gauche, des mots suffiraient-ils ? Ceux de Jean-Luc Mélenchon ?

Jean-Luc Mélenchon est un leader naturel de ce camp là mais pourrait être amené à se sacrifier ou faire un pas de côté pour que ce Front populaire puisse vraiment voir le jour. Il y a aussi d’autres élus, surtout des Insoumis, qui sont allés loin dans leurs commentaires et la réinterprétation du conflit entre le Hamas et Israël. Si Jean-Luc Mélenchon faisait un mea culpa lors d’une grande conférence de presse par exemple, cela pourrait fonctionner. Il faudrait affirmer qu’il n’y a pas de place pour l’antisémitisme, qu’il endosse à nouveau sa posture à l’époque du Front de gauche, qu’il revienne sur ses engagements au départ. 

Sous la bannière du rejet de l’extrême droite, de l’antifascisme, i l peut y avoir moyen de trouver une plateforme commune, le temps de l’élection en tous cas

Quoi qu’il en soit, la dynamique à gauche montre que des camps qui paraissaient irréconciliables il y a quelques jours encore peuvent faire montre d’une certaine discipline. Autour de François Ruffin peut-être, qui a les compétences et une autre forme de charisme, une union de la gauche serait envisageable. Mieux vaudrait en tout cas miser sur des figures rassembleuses, qui détiennent un capital de sympathie et d’authenticité, et qui ne soient pas entachées par des positions hasardeuses. 

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