Ma première interview parue dans Le Soir, le 22 juin 2007. La retranscription de l’entretien enregistré au téléphone, lors d’un trajet en train, laisse à désirer.
A bout portant (William Bourton)
Si l’on déroule la partition politique de ces deux derniers mois, on se rend compte que Didier Reynders n’a cessé d’imprimer son tempo, Elio Di Rupo étant le plus souvent contraint de suivre la musique. Comment le patron du MR s’y est-il pris pour se retrouver ainsi à la baguette ?
Je pense d’abord que le Parti socialiste n’était pas vraiment préparé à une confrontation qui s’est déroulée pratiquement exclusivement sur le terrain de Charleroi et de la mauvaise gouvernance, et qui mettait à mal le côté « gestionnaire sérieux » d’un Di Rupo, capable de combiner des portefeuilles très différents. Le PS a essayé de colmater les brèches, en mettant Charleroi « hors piste », en répétant qu’il ne fallait pas mélanger ce cas isolé et le bilan du PS. Le fait de jeter l’opprobre populaire sur Charleroi, en ne parlant finalement que de ça, était une manière, pour le MR, de mettre à mal ce positionnement de Di Rupo.
Plus fondamentalement, pour la première fois, on a connu une rupture avec la culture du consensus dans la communication des hommes politiques belges. Il est intéressant de noter qu’après ces élections, Elio Di Rupo nous annonce qu’il est prêt à « rendre des coups ». Cela fait partie d’un processus d’apprentissage, dans le sens où avant, le qualificatif d’« arrogant », adressé à Didier Reynders, était une sorte de rappel à l’ordre, de devoir de neutralité avant tout compromis possible. Au sein du Parti socialiste, il y avait une non-culture du challenger, dans le sens où finalement, Di Rupo émergeait dans la position consensuelle. Durant très longtemps, il a amené une crédibilité à son parti. Avec les affaires de Charleroi et la pression médiatique autour de ces affaires, le PS s’est retrouvé dans une impasse, et son président n’a pas réussi à gérer cette situation, à trouver des solutions. Cette impossibilité de trouver des solutions de la part de quelqu’un qui était emblématique en termes de crédibilité a créé un certain nombre de problèmes, qu’a exploités Reynders.
On l’a beaucoup vu avec Nicolas Sarkozy durant la campagne. Une source d’inspiration ?
En tout cas, on peut dire que l’on a connu une « sarkozysation » de la communication politique de Didier Reynders, dans le sens d’une « culture du débat ». L’engouement pour les présidentielles françaises a montré que quoi qu’on en dise, les gens aiment les confrontations, les débats d’idées et parfois même les chocs de personnalités. Certains, comme Philippe Moureaux (PS), l’ont compris depuis longtemps. Le charisme politique est en train de réapparaître et, dans cette course à la personnalisation, Didier Reynders a pris une certaine avance, en s’inspirant fortement de Sarkozy et de son parti, l’UMP. En se positionnant par exemple en alternative, en personnalité de changement alors que, pourtant, comme Sarkozy en France, il était au pouvoir dans le dernier gouvernement…
Depuis que Didier Reynders a été nommé informateur, on a le sentiment qu’Elio Di Rupo n’est plus l’homme « hyper-serein » d’hier…
Du côté du PS, on considère que Didier Reynders outrepasse l’impératif d’humilité qui sied à l’informateur. Dans ce poste-là aussi, Reynders se met en avant et se positionne en rassembleur. Cela appelle encore une fois la comparaison avec la France. En France où le Parti socialiste se félicite d’avoir moins perdu que prévu, où il trouve une sorte de victoire dans la défaite, dans une logique très « victimaire » : rappelez-vous l’ovation faite à Ségolène Royal au soir de sa défaite… Du côté du Parti socialiste belge, je pense qu’il y a vraiment un apprentissage de la défaite à faire.
La stratégie de Didier Reynders vis-à-vis du PS est en rupture totale avec celle de Louis Michel sous la précédente législature, lequel se révéla nettement plus « prévenant » envers son partenaire.
En effet. Je le répète : on est dans une rupture avec la culture politique du passé. Didier Reynders a fait le choix de la confrontation, de la mise en avant de ses idées, sans essayer de trouver un consensus large en vue de la formation d’un futur gouvernement. Louis Michel était pour sa part beaucoup plus rassembleur.
Pendant ce temps, le CDH et Écolo ont un peu de mal à exister : la querelle Reynders-Di Rupo monopolise toute l’attention.
Effectivement. D’une certaine manière, on assiste, en Belgique francophone, à une bipolarisation du système politique. Avec le PS d’un côté et le MR de l’autre : choisissez votre camp ! Comme en France, où la bipolarisation a étouffé un Bayrou. Chez nous, on a sans doute assisté à une victoire moins étincelante que prévu du CDH parce que Didier Reynders a fait passer le message que Joëlle Milquet était à la botte du PS.
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