Bart De Wever et Pim Fortuyn : l’art du « spin » tragique

En communication le « spin » est cet effet (comparable à celui que l’on donne à une toupie ou à un ballon de football lors d’un « tir brossé ») que l’on désire imprimer au récit médiatique.  À ce sujet, l’interview de Bart De Wever à Terzake (VRT) de ce lundi 4 février est intéressante à plus d’un titre.

L’affaire du « T-shirt homo » fut le talking point du week-end (ce qui en soi en dit long). Sans trop revenir sur la graphorrhée et l’exsudation de moraline qu’il suscita au sein du paysage politique, donnant ça et là, lieu à un « Bart-bashing » dans les règles de l’art on relèvera que l’exercice de « standardisation des minorités » entrepris et le parallèle effectué entre « obédience » homosexuelle et appartenance religieuse s’annonçaient pour le moins risqués.

En ironisant, on pourrait affirmer que le véritable scandale autour du concept de t-shirt arc-en-ciel réside dans le fait d’imaginer les très « hypes » gays anversois oser ce faux pas stylistique – Walter van Beirendonck et Dries Van Noten auraient vite fait de s’indigner et d’en appeler à la fashion police. J’ajoute que les costumes trois-pièces sur-mesure du désormais très dandysant De Wever constituent en soi, un emprunt bien plus ostentatoire au répertoire queer que n’importe quel rainbow-flag.

À noter tout de même que la dynamique diabolisation-victimisation s’avère essentielle au martyrologue télégénique de De Wever et constitutive à son positionnement antisystème. L’alimenter à coup de tweets outrés ou de superlatifs dénigrants équivaut à un petit-suicide politique.

Mais plus captivante est l’apparition de Bart De Wever à Terzake, sensé ici clore la polémique.

Rodé aux débats contradictoires et friand du « seul contre tous » – à mille lieues d’une expiation, De Wever opte ici pour une explication intimiste, en face à face avec le journaliste Lieven Verstrate. Un choix qu’il motive d’emblée par une comparaison avec son prédécesseur à la ville d’Anvers, Patrick Janssens (SPa) (qui « c’est connu » esquiva tout débat durant 6 ans), ensuite en réaction / représailles envers la VRT. De Wever s’estime en effet littéralement « exterminé » [afgemaakt] par l’émission « De Ochtend » sur radio1 diffusé en matinée. Cette « bouderie » médiagénique prouve une chose : le leader de la NV-A est en mesure de définir les contours (le setting) de sa propre médiatisation sur la chaîne publique : « je préfère dire ce que j’ai à dire ici, sans que quelqu’un puisse me donner de réplique ». Symptomatique.

Fin rhétoricien, De Wever – adepte de la « stratégie du coup d’éclat permanent » – brouille une nouvelle fois les codes et décide lui-même du cadre de l’interview lui permettant de dérouler, au mieux, son discours. Aussi, après une première séquence de diabolisation et une seconde phase victimaire / de ras-le-bol (telle qu’exprimée dans la Gazet Van Antwerpen : « Un an et demi d’enfer m’attend ») survient le fameux « spin ».

Bart De Wever en « auto-politologue » y offre une exégèse (orientée) de son propre discours. En d’autres mots, comme le personnage de fiction Dexter, expert en médecine légale le jour et tueur en série la nuit, De Wever ferme le ban et offre un cadre d’analyse au scandale qu’il a lui-même suscité.

Dans ce face à face « à décharge », le présentateur se trouve régulièrement pris à partie. Une posture-boulevard pour De Wever : médias (complices de sa « démonisation ») et adversaires politiques se retrouvant ici scénographiquement et symboliquement mis dans le même sac : « Vous porteriez un T-shirt de la Gay Pride pour présenter Terzake ? Non, la VRT est-elle pour autant homophobe ? » Mélange des genres intégral. De Wever s’y repositionne en héraut Holebi (rappelons ici sa prestation de DJ dans une boîte gay) et en chantre de la neutralité administrative, l’exemple des signes ostentatoires « homos » servant ici de contre-feu à toute stigmatisation axée uniquement sur le port du voile islamique.

De Wever offre là encore ses propres clés d’interprétation : « Il y a une nouvelle sorte de cordon sanitaire. Un train qui démarre et sur lequel tout le monde saute sans réfléchir ».  Comme produit de cette « criminalisation » à l’unisson et ainsi livré en proie au courroux potentiel de n’importe quel déséquilibré, il évoque la possibilité d’un scénario à la Pim Fortuyn (leader populiste néerlandais – adepte lui aussi de la confrontation permanente et du costume trois-pièces). Fortuyn, ouvertement gay (name-dropping pas sans intérêt dans le contexte du T-shirt homo) fut, pour rappel, assassiné en pleine gloire en mai 2002 par l’activiste Volkert van der Graaf, alors qu’il sortait des studios de la radio publique néerlandaise à Hilversum – donnant ainsi lieu au premier meurtre politique aux Pays-Bas depuis celui de Guillaume d’Orange en 1584. Van der Graaf motiva jadis son acte par sa volonté de stopper le tribun dans sa « stigmatisation et sa polarisation de la société ».

Aussi, De Wever termine en insistant sur la grille de lecture « années 30 » qu’on lui appose (depuis le discours royal) : « si je suis le nouvel Hitler, que faut-il de plus ? » 

« Effet Cassandre », la référence à Fortuyn projette une image subliminale particulièrement marquante et violente dans l’inconscient du spectateur, transformant le « Calimero » De Wever en homme à abattre / victime dans la ligne de mire. « J’ai vraiment peur ». Du grand art.

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6 commentaires sur “Bart De Wever et Pim Fortuyn : l’art du « spin » tragique

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  1. Excellente analyse. A noter que Jean-Marie Dedecker a aussi largement joué de la référence à Pim Fortuyn et de la peur de l’élimination physique. Ce qui ne l’a pas empêché de mourir politiquement.
    D’autre part, a-t-il vraiment dit « je préfère dire ce que j’ai à dire ici, sans que quelqu’un puisse me donner de réplique » ? Si c’est le cas, il baisse…

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