Rêveries nationales

En teaser ou corolaire à ma chronique parue dans Le Vif / L’Express, quelques réflexions supplémentaires sur la sortie estivale – et déjà fort commentée – du Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Même comme vœu pieux, le nationalisme ne se décrète pas. Historiquement, Il naquit dans les caves clandestines, sous le joug d’une puissance ennemie, dans l’émancipation des colonies ; au mieux dans l’âme des poètes, au pire par ressentiment petit-bourgeois. La dimension historique demeure ici primordiale. Or, dans la post-Histoire, si chère à Philippe Muray et qui désigne dans son vocabulaire l’époque présente, la chimère d’un Ethos national apparaissant ex-nihilo est une idée plus que saugrenue (et d’autant plus burlesque de la part d’un dirigeant issu d’un parti membre de l’Internationale socialiste). Pour Muray, l’Histoire de l’occident est terminée depuis longtemps ; « La fin du monde est reportée à une date antérieure » [2] (et non ultérieure comme le suggère Kroll).

La Wallonie doit-elle entrer dans l’Histoire ? Au passage, on rappellera que dans son discours de Dakar, Nicolas Sarkozy prenait l’homme africain de haut (image cocasse) estimant que ce dernier n’était pas – encore – assez (r)entré dans l’Histoire – oubliant de notifier que le consommateur occidental, souffrant de sénilité précoce, en était sorti depuis belle lurette.

Ré(s)-suscitée dans ce non-siècle, le nationalisme wallon – fantasmé par Rudy Demotte – relève donc du leurre anachronique. En Flandre, il en va autrement : le néo-nationalisme traduit une vraie nostalgie de l’Histoire (une uchronie rêvée – cf. les ouvrages What if ? de Robert Cowley [1] – un passé non-réalisé). Il est d’ailleurs tenu à bout de bras par quelques historiens actifs politiquement.

Un mot sur l’historien Bart De Wever, justement : le rêve hégélien d’une Flandre indépendante à moyen-terme comme « processus inéluctable », d’un entre-soi cosy enfin (re)trouvé (préfixe entre parenthèse, car à quelle réalité historique hypothétique, ce ‘re’ renvoie-t-il ?) relève là encore d’une continuité historique d’un autre temps – au même titre que le Weltgeist [Esprit du monde] d’Hegel, inscrivant l’humanité dans une trajectoire historique, suppose une Histoire qui fait (encore) sens.

De cette nostalgie (de l’irréel) qui traduit néanmoins un Volksgeist [Esprit du peuple] bien réel, le « wallo-bruxien » n’en conserve majoritairement aucune trace, contrairement à la « Belgique de Papa » (ou de Tintin) ; ce mythe boyscout encore bien palpable. Ce dernier constitue une jubilation identitaire inoffensive, monarchiquement ou sportivement réactivée, et portée ça et là par Vincent Kompany et Stromae : jumeaux monozygotes (à l’instar des frères Borlée) de la néo-belgitude.

On pourra donc s’étonner de la reconversion soudaine de Rudy Demotte, car si l’Histoire a encore un sens, rappelons que ce dernier estimait encore en juillet 2011 que l’idée de Nation était dépassée, héritée du XIXe siècle (suscitant ainsi le courroux de Jean-Maurice Dehousse), mais passons.

Aussi, concluons qu’à l’ère postnationale du tout-franchisé, la réintroduction d’un nationalisme Demottisé (c.-à.-d. dévitalisé, aseptisé, d’emblée chloroformé) – même sous forme d’attention touchante – relève du pastiche anhistorique et s’avère pour le moins hors-sujet.

[1] R. Cowley, What if? The World’s Foremost Military Historians Imagine What Might Have Been, New York: Putnam, 1999.

[2] P. Muray, Festivus Festivus, Paris : Fayard, 2005.

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