La France musèle la communication de ses ministres. Et en Belgique ?

Interview parue sur le site RTBF Info (propos recueillis par téléphone avec un rendu assez « brut »).

Matignon vient de publier une note qui demande aux ministres de prendre contact au préalable avec l’Elysée à chaque fois qu’ils sont sollicités par les médias. Une telle organisation est-elle possible? Et qu’en serait-il chez nous, où le gouvernement naît toujours d’une alliance de différentes couleurs politiques?

Rôle ô combien stratégique que celui de responsable de la communication d’un homme politique. Ce responsable gère l’ensemble des relations avec les médias. En France, de nouvelles règles viennent d’être établies. Jérôme Batout, qui y gère la communication (discours, études d’opinion), et la stratégie médiatique (réseaux sociaux) du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, vient de le déclarer dans un texte téléchargeable« Le schéma est le suivant: lorsque votre ministre reçoit une invitation pour un passage média (radio, télé, presse écrite papier ou Internet), vous nous informez au préalable, avant de donner un accord au média. Lorsque votre ministre envisage de susciter un passage média, vous nous informez avant de prendre l’attache du média ».

En gros, Matignon veut offrir une vision claire de la cohésion au sein du gouvernement français et centraliser la communication de ses représentants. Le déluge de mails et de courriers devront dorénavant être gérés par les services de la résidence officielle du chef de l’Etat. Matignon s’engage à valider, ou non, le passage d’un ministre dans les médias qui souhaiteront un entretien.

Une vue d’ensemble pour une solidarité ministérielle

Nicolas Baygert, professeur en sciences politiques à l’IHECS, explique les raisons qui ont poussé à prendre cette décision : « Depuis plusieurs mois, il y a des couacs au niveau de la communication en France. Il existe une guerre ouverte entre les ministres. Pensons à Christiane Taubira (Ministre de la Justice) et Manuel Valls (Ministre de l’Intérieur), par exemple. Il n’y avait pas eu de coordination jusqu’à présent. Cette initiative permet d’avoir une vue d’ensemble. En France, il y a quantité de matinales et de médiatisations. Si on compare avec le paysage médiatique belge, à part les grandes chaînes classiques, le paysage n’est pas très large. Nous n’avons pas beaucoup d’émissions politiques non plus, sauf le dimanche. »

Les émissions sont plus nombreuses en France et, par conséquent, les demandes de la presse aussi. Un tel arrangement est-il possible ?  » Il n’y aura pas une relecture systématique, d’après la note qui circule, rappelle Nicolas Baygert. Ce sera donc aux ministres d’apprécier si une relecture est souhaitable. Ce sera un avis non contraignant. Même avec cette note, il n’y a pas vraiment de prise en mains de la communication, ça reste un petit peu la porte ouverte à la cacophonie ministérielle. »

En Belgique, l’habitude du consensus

Chez nous, le Premier ministre Elio Di Rupo n’intervient pas dans la cacophonie ministérielle sauf si cela touche l’ensemble du pays. Notre paysage politique est formé par une coalition et non par un système majoritaire. En France, les socialistes collaborent avec quelques personnalités « vertes » mais ont énormément de mal à faire des concessions. « En Belgique, c’est normal d’en réaliser mais en France, il y a peut-être davantage de crispation car des personnalités politiques d’un même parti ont de grandes divergences« , observe Nicolas Baygert. « Chez nous, la culture du consensus politique est beaucoup plus inscrite dans les gènes de la classe politique belge car on met de l’eau dans son vin, sachant que l’on gouverne avec des ministres de partis avec lesquels on ne partage pas les idées de programme. »

Selon ce chercheur en communication, Elio Di Rupo a quelque chose de présidentiel dans son attitude en prenant une pose presque solennelle quand les grands événements l’exigent. « Nous l’avons vu tout l’été lors de la passation de pouvoir, par exemple, rappelle-t-il. Il ne communique souvent que sur les bonnes nouvelles ou pour défendre son bilan en continu. Il va laisser ses ministres communiquer sur les dossiers politiques et les thématiques qui font la Une. Ils jouent le rôle des pare-chocs qui prennent des coups. Ils peuvent adopter une ligne plus dure dans leur communication, chose que ne peut plus se permettre Elio Di Rupo qui joue presque le rôle de coach pour ses ministres tout en sachant qu’il y a des ministres de couleur politique très différente au sein de son gouvernement. En France, Hollande ne tranche pas les conflits au sein de son gouvernement et Ayrault rectifie parfois ce qu’a dit le président. On vit, chez nous, une situation où il n’y a pas un gouvernement de gestionnaires qui offre toute la liberté à ses ministres de se profiler comme candidats aux présidentielles. »

La raison de cette différence entre les deux pays est donc historique. Le système politique belge respecte la culture du consensus. En France, il règne un rapport de force avec des personnalités qui veulent prendre le dessus et qui désirent se mettre en avant… peut-être pour déjà préparer les élections présidentielles de 2017.

Luigi Lattuca (st.)

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