J’ai eu l’occasion, en ce début de semaine, de participer au « Forum de Midi » sur La Première (RTBF) – l’émission ayant pour thème « Que penser du langage guerrier des partis politiques ? ».
Bien qu’entrecoupée par les avis d’auditeurs, l’émission offre un espace inespéré pour développer des arguments dans leur longueur. Les points suivants constituent le prolongement du débat mené à l’antenne.
Redramatiser, performer, exclure
La rhétorique guerrière – bien que largement surfaite – témoigne avant tout d’un basculement forcé. La particratie revête, en période électorale, les habits de la démocratie en sublimant les enjeux.
Il s’agit notamment de masquer une donnée essentielle : la confiscation du scrutin post hoc, l’alchimie subtile des majorités ne reflétant pas nécessairement les rapports de force quantifiés par le résultat des urnes.
L’agressivité succède ainsi à l’unanimisme de façade. Les formations gouvernementales quittent la zone de confort particratique pour entamer une séquence d’inconfort démocratique. S’en suit une réintégration nécessaire du conflit dans les relations inter-partisanes justement là où il s’agissait auparavant avant tout d’apaiser et de pacifier les rapports : une transition ardue et un changement de registre souvent peu crédible pour l’électeur flairant l’imposture.
Le registre conflictuel se nourrira de clashs, de petites phrases agonistiques. Place à la redramatisation et à la ré-idéologisation du débat public – un storytelling politique qui traduit une mise en forme stratégique du récit politique, un pré-cadrage essentiel à la reprise médiatique subséquente. Essentiel, dans la mesure où, cadrage médiatique oblige, les électeurs vivent la campagne tel un feuilleton avec ses happenings en cascade. Dès lors, cette mise en récit soumettra les candidats – les « champions » de chaque parti – à une obligation de performance.
Comme l’indique Bolz, « la compétition des élus de pointe offre une parodie aisément consommable de l’Agon et du dialogue socratique, à savoir la recherche collective du bien commun » [1].
Dans cette dynamique d’affrontement, le principe d’infréquentabilité – arme de destruction massive particratique – constitue la sentence ultime de l’entre-soi partisan. Il consiste à retirer sa confiance, révoquer voire répudier un partenaire de coalition, mettre sur la touche une formation durant la séquence pré-scrutin. Un verdict visant soit l’élu, soit le parti avec lequel on ne se mettra pas/plus à table.
En 2009, le PS devint ainsi infréquentable pour le MR. Cette année, c’est aux libéraux de se rendre infréquentables aux yeux d’Ecolo. Pour Rudy Demotte, le MR n’est pas infréquentable mais « indésirable », nuance. Le qualificatif « arrogant » constitue ici le premier marqueur pour indiquer à son interlocuteur politique qu’il flirte avec une excommunication par ses pairs.
Gate-keepers et petits partis
Côté francophone, les formations politiques « de pouvoir » furent jusqu’ici globalement capables d’enrayer l’émergence de « petits » partis, profitant notamment d’une frilosité voire d’une sur-politisation des instances médiatiques agissant en véritables « gate-keepers ». Or, une nouvelle offre politique semble aujourd’hui davantage plébiscitée, témoignant d’une fragmentation du paysage politique francophone et d’une rupture consommée, d’essence conjoncturelle, d’une partie de l’électorat avec les partis traditionnels.
Facteur aggravant : pour l’électeur, la surreprésentation d’une élite particratique à l’écran a progressivement contribué – et ce malgré quelques tentatives de redramatisation artificielle médiatiquement boostées – à une stérilisation du débat public. Lassitude et désidéologisation vont ici de paire.
Pathos et morale
En politique, plus les enjeux contemporains s’avèrent complexes, plus les simplifications catégorielles et descriptives deviennent nécessaires. L’offre d’un parti politique se présente dès lors comme un set d’opinions – l’opinion politique comme Ready-Made.
Aussi, en médiacratie, les enjeux politiques ne s’exposent que rarement sous un angle 100% pragmatique, sans filtrage axiologique préalable. Un filtrage qui doit permettre aux acteurs politiques de « faire ressentir » plutôt que de « faire comprendre ». En résulte un glissement notoire vers le registre du Pathos – le primat de l’émotion et le choix stratégique du récit exemplaire célébrant des individus ordinaires (les « gens » ; cf. Kevin et Frédéric, stars du discours d’Elio Di…par Le_Soir). Dans le meilleur des cas : une pédagogie par l’affect – dans le pire : un enfumage compassionnel.
Outre la diffraction émotionnelle, le martèlement des valeurs représente un autre ressort quasi obligatoire en période électorale. Objectif : moraliser les enjeux pour permettre là encore à ceux qui ne comprennent rien au sujet de tout de même prendre part à la discussion. Vocabulaire analytique post-marxiste de gauche vs. pragmatisme libéral ou bon sens populaire. Les mots choisis (ex: bain de sang social vs. bain de sang fiscal) sont autant de marqueurs idéologiques permettant à l’électeur de repérer si un orateur est de gauche ou de droite (ou moins à gauche), modéré ou radical, etc. Place à une vision manichéenne de la chose publique où il s’agira avant tout de se situer dans le « camp du bien ».
Politiquement correct
Corolaire à la moralisation du débat public : la dénonciation d’une « bien-pensance » ou d’un « politiquement correct » par différents acteurs. Le politiquement correct comme mise en quarantaine d’un champ argumentatif « sulfureux » – une forme de censure non pas imposée par le haut (top down) mais pratiquée horizontalement et bénéficiant d’une sous-veillance (militante et journalistique). Pour certains, cette normopathie discursive traduirait une dérive moralisante (la moraline disait Nietzsche) d’un égalitarisme hissé en dogme, non plus porté par un sens de la justice sociale, mais par un ressentiment généralisé.
Un réflexe qui s’expliquerait avant tout par une inaptitude au débat, une carence analytique voire une atrophie de la faculté de juger. Dans un langage plus pragmatique de communicant, il s’agira surtout d’une stratégie d’évitement des thématiques clivantes, des « sujets qui fâchent », pouvant déboucher sur la perte de « parts de marchés ».
[1] Bolz, N. (2005). Blindflug mit Zuschauer, Munich : Willhelm Fink Verlag.
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