Interview (par téléphone) parue dans La Libre Belgique le 18 mars 2014.
BELGIQUE « Elio Di Rupo est dans une communication folklorique. Il est présent dès qu’un événement est de nature à marquer la vie sociétale belge »
Les adversaires siamois. Elio Di Rupo, Premier ministre et président en titre du PS, face à Bart De Wever, président de la N-VA. L’arbitre ? Des pandas ! Le socialiste était allé accueillir deux spécimens prêtés au Parc Pairi Daiza sur le tarmac de l’aéroport. Le leader nationaliste l’a singé en se déguisant en panda lors d’un show à la télévision flamande. Le débat de fond dans tout cela, à deux mois et demi des élections du 25 mai ? Absent. Totalement…
Les deux hommes « sont sortis du registre électoral classique pour privilégier le registre communicationnel », analyse Nicolas Baygert, spécialiste de la communication politique à l’UCL, l’Ihecs et à la Sorbonne à Paris.
« Elio Di Rupo est dans une communication folklorique. Il est présent dès qu’un événement est de nature à marquer la vie sociétale belge (Diables rouges, intronisation du Roi, etc.). Il symbolise une forme de nouvelle belgitude », décortique le spécialiste. « Mais cela a pour conséquence qu’il dépolitise énormément sa fonction et évite de la sorte toute critique frontale. Il a mis en place un ‘storytelling’ gouvernemental avec un matraquage de bonnes nouvelles : stabilité retrouvée, un gouvernement qui a empêché le pays d’exploser, etc. C’est ça, sa communication. »
Ce week-end, dans le cadre de son interprétation très remarquée du panda chinois, « Bart De Wever a adopté un registre de communication dirupien, folklorique. Depuis le soir des élections communales de 2012 et son discours à Anvers, il est perçu comme un être froid, loin de sa bonhomie qu’on lui connaissait avant son régime. Il a une aura plus sombre. Ici, avec son coup de com’, il est parvenu à ramener de l’humour autour de son personnage. Ce qui avait fait son succès. Cette histoire de pandas est devenue un ‘gimmick’ de la campagne – surtout qu’elle n’a pas beaucoup de contenu pour le moment, sauf des promesses. Les pandas permettent d’apporter un élément neuf, dont s’est servi De Wever. »
Message politique
Mais à la différence de son adversaire, le président de la N-VA a glissé quelques attaques politiques bien senties (sur le salaire du patron de bpost ou sur la façon dont le zoo d’Anvers aurait été lésé aux dépens du parc wallon Pairi Daiza). « De manière très brève, en deux ou trois phrases, il est parvenu à réaffirmer son interprétation du problème politique belge, à savoir deux démocraties juxtaposées qui ne parviennent pas à coopérer efficacement. Derrière le show, il a recadré le débat politique. En outre, il se livre à une piqûre de rappel après ses soucis de santé. » Dans le genre « n’oubliez pas que j’existe » .
Plus globalement, la stratégie communicationnelle du bourgmestre anversois s’inscrit « dans le coup d’éclat permanent. Il cherche à choquer pour ensuite être invité à s’expliquer. Ça lui permet d’augmenter son capital sympathie parce qu’il est très bon dans la défense de ses idées. Elio Di Rupo est plutôt dans un discours difficilement contestable, il est dans la défense de grandes valeurs sociétales. Bart De Wever cherche au contraire à dominer son adversaire.«
Quant au retour du débat d’idées, il faudra attendre la fin de la campagne… « Autant Di Rupo que De Wever ne veulent pas entrer tôt dans le combat électoral », poursuite M. Baygert. « Ils veulent éviter de perdre des plumes. C’est très clair pour le Montois. Il est Premier ministre, il n’entre même plus dans le jeu traditionnel des partis. Il est dans la stratosphère… Son nom est devenu une marque… Bart De Wever a, lui, la volonté de présenter le contexte politique comme une opposition entre deux forces : une Flandre défendue par son champion face à une Wallonie dirupienne. Tout le reste ne joue pas dans la même catégorie. » Et il ne s’abaisserait dès lors plus à débattre avec les autres présidents de parti…
« Cette stratégie bénéficie aussi à Elio Di Rupo. Au sud du pays, il est perçu comme le seul pouvant tenir tête à Bart De Wever. C’est une co-construction qui les renforce mutuellement. En termes de communication, leur parti profite de la valeur ajoutée de ce match au sommet. Mais ce jeu est profondément hypocrite puisque les électeurs de l’un ne peuvent pas voter pour l’autre. C’est un faux match, il n’y a pas de confrontation directe. »
Costume du militant
Stratégie consciente et délibérée dans le chef des deux adversaires politiques ? « Ce n’est bien sûr pas l’unique stratégie du PS et de la N-VA ; ils doivent aussi tenir compte des autres partis. Mais c’est un atout dont usent les communicants des deux formations. »
On l’a compris, les hommes forts de la politique belge se lanceront tardivement dans la campagne. A en croire Nicolas Baygert, Bart De Wever se livrera à un savant dosage. « La N-VA est dépendante de lui. Il est le seul à avoir une telle intelligence politique dans son parti. Il voudra apparaître comme celui qui vient clore le débat. » Quant à Elio Di Rupo, ce serait plutôt une question de… capacité. « Il occupe une posture présidentielle, très symbolique, rassembleur, au-dessus de la mêlée. Des Premiers ministres comme Guy Verhofstadt ou Herman Van Rompuy étaient moins distants des considérations partisanes et idéologiques. Di Rupo se met tellement en marge de la politique de tous les jours qu’on peut se demander s’il parviendra à réenfiler sa tenue de militant socialiste. »
ANTOINE CLEVERS
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