Y a-t-il un communicant pour aider les communicants de l’Elysée ?

Tribune co-écrite avec Philippe Moreau-Chevrolet parue dans Slate.fr, le 11 juillet 2015.

Le projecteur médiatique se dirige de plus en plus vers la fabrication de l’image présidentielle, processus dans lequel le chef d’Etat lui-même n’apparaît plus que comme un personnage à l’arrière-plan. Un storytelling qui n’est pas sans risque.

C’est un rituel. La relation entre les médias et les communicants au service du pouvoir exige de ces derniers la délivrance régulière de «séquences». Ce sont des micro-récits, des happenings narratifs que les journalistes, les chroniqueurs et les commentateurs pourront s’approprier. Ces séquences doivent être suffisamment fortes pour attirer leur attention, et au besoin la divertir.

Dans les opérations d’image tentées par l’Élysée, en parallèle aux emprunts à la pop culture effectués par le Service d’information du gouvernement (SIG) –qui décline des campagnes inspirées par House of Cards, Star WarsLe Seigneur des anneaux ou Game of Thrones–, l’heure est au making of.

Le projecteur se dirige vers les communicants de l’Elysée, vers la fabrication de l’image présidentielle, processus dans lequel le chef d’Etat lui-même n’apparaît plus que comme un personnage à l’arrière-plan. Un personnage dont on parle. Les positions s’inversent. Les metteurs en scène s’improvisent acteurs. L’acteur principal devient un objet. Un objet de sa propre communication.

Le récit de la séance photo des communicants de l’Elysée, paru en février dernier dans l’Obs, est à ce titre exemplaire. Le Président était dans les coulisses du shooting, tout sourire, tandis que ses communicants, eux, étaient devant l’objectif.  Une scène surréaliste.

Rebaptisés non sans ironie «La jeune garde» du Président et photographiés avec tout autant d’ironie dans une imagerie The Kooples, les communicants de l’Elysée ont été les premières victimes de l’opération.  La séquence devait contribuer à moderniser l’image du Président, en invoquant une «génération internet» qui travaille «sur un mode managérial» avec des «plateaux-repas» et dans la «cool attitude». Et c’est l’inverse qui s’est produit, avec l’affichage d’une génération d’énarques en costumes trois pièces, en tous points conformes aux générations précédentes.

Un vide qui doit être constamment rempli

Cette inversion de la communication et de son objet est inédite sous la Ve République. Elle n’a aucun équivalent dans les démocraties avancées. Comment la comprendre? Pourquoi se produit-elle en France, en 2015?

La première explication tient à un constat d’échec. Le personnage de François Hollande ne parvient pas à «imprimer» dans l’opinion. Il ne fascine guère, en grande partie parce qu’il ne parvient pas à communiquer sur lui-même. Ce déficit de communication sur la personnalité, les valeurs ou les repères personnels du Président, lui aussi inédit sous la VeRépublique, crée un vide qui doit constamment être rempli par les autres.

Pour ne pas laisser des adversaires comme Valérie Trierweiler remplir ce vide, les hommes de l’ombre ont trouvé comme parade de passer à la lumière. Puisque le Président n’«incarne» pas la fonction, il s’agit en quelque sorte de l’incarner en son nom. Après le désastreux passage d’Aquilino Morelle et la parenthèse Claude Sérillon, communiquer sur de «jeunes» communicants permet ainsi de tenter un storytelling présidentiel.

A l’initiative de l’Elysée, cet argument générationnel tourne en boucle dans les médias. Le récit n’est pas nécessairement très crédible –comme cette scène diffusée sur France 2 en juin, et qui montre les communicants du Président l’informant des tendances de l’opinion récoltées sur… Twitter. Mais c’est sa répétition qui en fait la vertu.

«Moi j’ai besoin de cette information, j’ai besoin de savoir ce qu’un nombre de Français à travers les réseaux sociaux expriment», explique le chef de l’État dans cette nouvelle séquence. Fini Claude Sérillon, ringardisé, «druckerisé» aux yeux du public. Place aux jeunes. Mais pas à n’importe quels jeunes.

Au cœur de cette opération «nouveau look pour une nouvelle vie» de l’Elysée, on trouve un énarque, mais trentenaire, Gaspard Gantzer, désormais chef du pôle de communication de l’Elysée. Mi-énarque mi-jeune, mi-technocrate mi-communicant, Gantzer appartient à une espèce hybride. C’est à lui qu’appartient d’incarner une sorte de «double communicationnel» de François Hollande.

La mise en avant de ses communicants permet au Président d’exister et de changer son image, tout en restant en retrait. Finis les couacs du début de mandats, finis les tweets intempestifs, finis les égarements en scooter, finis les répudiations et les «sans-dents». A un récit présidentiel inexistant se superpose dorénavant le récit des communicants.

Syndrome du «bon élève»

Une deuxième interprétation possible, et complémentaire de la première, est que le Président est victime du syndrome du «bon élève». Soucieux de ne pas apparaître comme rétrograde sur le plan de la communication, soucieux de montrer qu’il sait ce qu’est la communication et qu’il maîtrise parfaitement ce domaine, qu’on l’accuse d’avoir délaissé et dont il a conscience qu’il fait partie de sa fonction, François Hollande crée un écran de fumée. Un écran derrière lequel il peut continuer à ne rien changer à ses pratiques.

Des pratiques d’un autre temps, où l’on s’assure de rester au pouvoir par un dosage de cadeaux fiscaux et de combinaisons politiques. Et où se présenter devant l’opinion n’est pas une priorité. Les Français ont voté, certes, mais le gouvernement, c’est maintenant.

Le seul pilier qui rend cette combinaison possible, c’est naturellement le Front national. Et l’on voit à quel point la situation est différente de celle de 1988, où François Mitterrand avait utilisé le FN pour diviser la droite, et l’emporter. Ce qui demeure un exemple brillant de stratégie politique.

En 2015, le FN sert de pivot à une stratégie qui consiste à ne laisser aucun choix à l’électeur. On «force» en quelque sorte le système, pour qu’il continue à fonctionner comme avant. Un peu comme l’on force une serrure.

Il ne s’agit donc pas d’être le meilleur en 2017, et la combinaison personnelle n’est pas déterminante. Il s’agit d’être le moins mauvais, ce qui est très différent. C’est comme cela que l’on peut comprendre cette phrase célèbre, et bien peu comprise, de François Hollande après son élection en 2012: «Je n’ai pas de stratégie de communication, j’ai une stratégie politique.»  

Peut-on «forcer» de cette manière le système de la Ve République? Ou le principe de l’«homme providentiel» reprendra-t-il le dessus, avec des conséquences difficilement prévisibles? C’est toute la question.

La faiblesse structurelle de la communication de l’Elysée peut ainsi se comprendre. Pourquoi donner des hommes et des moyens, une structure professionnelle –on pourrait, par exemple, envisager de rattacher le SIG à l’Elysée et non à Matignon, comme c’est le cas actuellement– à une structure dont on estime qu’elle est inutile? Inutile et coûteuse.

A titre de comparaison, on peut s’intéresser à la cellule de communication en ligne du Kremlin. Située dans un immeuble de l’époque soviétique du nord-ouest de Saint-Pétersbourg, elle emploie une centaine de «trolls» à plein temps diffusant la propagande gouvernementale à l’aide de faux comptes sur les réseaux sociaux. On est loin de la réunion à quatre avec le Président où l’on décrypte les dernières tendances de Twitter, comme on commenterait les pages mode de Grazia ou de GQ.

«Stratégie de Shéhérazade»

Le problème posé par cette stratégie de la communication «par procuration» et sans moyens de Hollande, c’est que l’exposition médiatique des communicants de l’Elysée va elle-même avoir besoin, et a déjà besoin en réalité, d’un cadrage communicationnel en amont. Or, qui va s’en charger?

François Hollande pourrait bénéficier d’un de ces hommes de l’ombre d’autrefois. Un Roger Aisles, qui a contribué à forger l’image de Ronald Reagan et de Jacques Chirac, un binôme Jacques Pilhan-Gérard Colé, qui a fait la grandeur du mitterrandisme, voire un Karl Rove, ex-conseiller de George W. Bush connu pour avoir conceptualisé la «stratégie de Shéhérazade»:

«Quand la politique vous condamne à mort, commencez à raconter des histoires –des histoires si fabuleuses, si captivantes, si envoûtantes que le roi (ou, dans ce cas, les citoyens américains, qui, en théorie, gouvernent notre pays) oubliera sa condamnation capitale.» 

À défaut d’une histoire captivante, l’on se contentera d’anecdotes, le temps de courtes «séquences», et en attendant que la politique –la vraie– reprenne ses droits. En attendant que se referme cette parenthèse communicationnelle unique dans l’histoire de notre pays. Celle d’un Président qui n’est pas un «homme sans com’» ni un homme sans communicants. Mais un homme sans Histoire.

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