ONG et médias misérabilistes

Entretien croisé paru dans La Libre Belgique le 17 juillet 2015 et publié sur le site du CNCD. Propos recueillis par Valentin Dauchot.

Les médias et les ONG ont au moins un point en commun : s’ils veulent parvenir à leurs fins, ils doivent capter l’attention du public. Les uns pour gagner des lecteurs ou des spectateurs, les autres pour réunir des fonds, et tous deux jouent sur le même registre : l’émotion.

« Tout le système médiatique fonctionne sur l’émotion totale », explique Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’Ihecs. « Quand ils veulent capter l’attention du public, les médias, les ONG, et même les politiques mettent l’accent sur une histoire ou un personnage pour sensibiliser les gens et créer un sentiment d’identification ou de compassion, ce qui engendre inévitablement une simplification de la situation. » « Certaines ONG tentent de sortir de ce mécanisme », poursuit le spécialiste en communication, « mais elles ne le peuvent pas. C’est un véritable engrenage médiatique qui a encore été renforcé ces dernières années avec l’apparition du ‘slacktivisme’. »

CAPTER LES ACTIVISTES DE CANAPÉ

Né avec les réseaux sociaux, le « slacktiviste » ou « activiste de canapé » ne s’engage plus sur le terrain, mais de chez lui devant son ordinateur, d’un « clic » ou d’un « like » avec lesquels il soutient virtuellement l’une ou l’autre cause, et passe en permanence d’une catastrophe à une autre. « Il est donc beaucoup plus difficile de capter son attention », ajoute Nicolas Baygert. « Si elles veulent occuper le terrain, les ONG doivent opérer comme une agence de communication et imposer ‘leur’ cause parmi une succession de catastrophes humanitaires. Ce qui implique d’éviter absolument la ‘normalisation’ d’un phénomène et de jouer sur cet aspect émotionnel pour attirer l’attention. »

DÉSHUMANISATION DU PROBLÈME

Problème, en simplifiant des problématiques à l’extrême, ONG et médias déshumanisent les causes qu’ils tentent de mettre en avant. Tristesse et dénuement sont privilégiés aux explications de fond et à l’intervention des principaux intéressés, qui n’ont plus la place de s’exprimer et ne sont plus considérés comme les acteurs de leur propre destin.

« Ce misérabilisme était extrêmement développé au sein des ONG dans les années 80 et 90 », reconnaît le Secrétaire général du CNCD-11.11.11 Arnaud Zacharie. « Les plus démunis étaient constamment présentés comme des victimes passives de la pauvreté, que les Occidentaux venaient sauver. Comme lorsque Bernard Kouchner arrivait avec un sac de riz sur le dos pour aider les pauvres petits Ethiopiens ou plus récemment, lorsque les journalistes internationaux se mettaient en scène à Haïti après le tremblement de terre, comme s’ils sauvaient encore des victimes des décombres alors que les Haïtiens s’organisaient depuis plusieurs jours hors caméra pour venir en aide aux blessés. »

CHANGEMENT DE PARADIGME

« Mais depuis les années 2000, les ONG sont un peu revenues de ce mode d’action », estime Arnaud Zacharie. « Parce que ce misérabilisme n’est efficace qu’à court terme et alimente l’idée fausse que les pays touchés ne détiennent pas les clés de leur changement. Désormais, les ONG belges suivent des critères très clairs pour ne pas sombrer dans cette victimisation, travaillent essentiellement avec les partenaires locaux au lieu d’envoyer des gens sur place, et se concentrent sur les causes structurelles de la pauvreté. » Mais ce sera beaucoup plus difficile à communiquer, qu’une photo choquante sur la pauvreté.

Valentin Dauchot

P.-S.

Source : dossier « L’Afrique n’est pas que guerre, faim et misère », lalibre.be, 17 juillet 2015.

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