Interview parue sur le site RTBF Info, le 25 novembre 2015. Certains éléments de l’interview furent également repris par Politico : ici. Propos recueillis par Karim Fadoul.
Suite aux attentats de Paris, Bruxelles est en alerte terroriste de niveau 4 sur une échelle de 4 et le restera jusque lundi prochain. Une décision prise par le gouvernement fédéral en concertation notamment avec l’Ocam (Organe de coordination et de l’analyse de la menace terroriste) et communiqué à deux reprises lors de grands-messes télévisées en direct.
A l’image: des ministres alignés, Charles Michel au centre, derrière le pupitre du bunker, le salle de presse du gouvernement. A leur pied, une nuée de journalistes attendant le verdict des réunions du Conseil national de Sécurité. De l’autre côté de l’écran, des milliers des téléspectateurs impatients. Comment cette communication a-t-elle été gérée? Le gouvernement Michel a-t-il correctement informé la population? Nicolas Baygert, professeur de Communication à l’Ihecs, analyse ces différentes séquences riches en rebondissements.
La communication de crise
Pour Nicolas Baygert, « la difficulté aujourd’hui pour le politique est d’entrer dans une phase où il faut rassurer la population. C’est plus difficile que la phase commémorative, après un attentat, où tout le monde participe de manière naturelle, automatique. Dans une séquence de crise comme celle que nous venons de vivre, il n’y a plus de place pour l’affectif. Le politique doit structurer un contexte qui est chaotique, lui donner du sens. Il faut expliquer les enjeux tout en évitant l’hystérie. C’est une tâche extrêmement compliquée surtout quand il y a, en parallèle, un robinet continu d’informations. »
Le climat est pesant, il y a la crainte d’un attentat et des mesures doivent être prises. « Le politique ne peut pas promettre un retour à la normale d’un point de vue de la sécurité mais il doit expliquer qu’il veut rendre les choses respirables pour les citoyens, tout en ne perdant pas de vue que les attentats ont montré que nous sommes vulnérables aussi à Bruxelles. Il faut réapprendre à penser le risque global à partir du moment où dans notre société du spectacle, on a eu pour habitude d’associer ce risque à des zones de guerre. Maintenant que ce risque existe aussi chez nous, il n’est pas évident de transmettre cette idée dans le discours politique. »
Verdict de Nicolas Baygert ? « Une communication qui a été bonne dimanche, avec des mesures annoncées et de la clarté. D’autant que la tension médiatique était à son comble. Lundi, par contre, on a constaté un manque de clarté et de pédagogie. Le gouvernement n’a pas réduit la complexité de la situation. Les zones d’ombre étaient toujours présentes. » Rappelons qu’à ce moment-là, le gouvernement fédéral annonce le maintien du niveau 4 et la réouverture des écoles pour mercredi. « C’est incompréhensible pour beaucoup de personnes. »
A l’heure des JT
Lundi, l’attente est insoutenable et l’annonce de la suite des événements pour les jours à venir tarde, jusqu’à l’heure des journaux télévisés. Certains y ont vu un calcul. « Le timing médiatique a peut-être été davantage maîtrisé parce que les annonces ce soir-là étaient moins pertinentes que celles de dimanche. Dimanche, nous attendions des annonces qui allaient marquer le début de semaine. Lundi, nous étions déjà dans un scénario de sortie de crise. Ce qui a été prouvé avec cette transition du mardi avec des écoles qui restent fermées mais qui rouvrent le lendemain. »
Le Premier ministre qui s’adresse d’abord en néerlandais
La menace placée au niveau 4 ne concernait que Bruxelles, ville peuplée de francophones à près de 90%. Interrogation de certains : pourquoi, lundi et dimanche, Charles Michel a-t-il entamé ses interventions en néerlandais? « Je pense qu’il faut voir cela comme une question d’habitude, de la part de quelqu’un qui veut montrer qu’il est le Premier ministre de tous les Belges. Ce devait donc être un réflexe naturel, une posture dans laquelle il se sent bien, plutôt qu’un calcul. Ceci étant, il aurait peut-être dû avoir une autre appréciation vu les destinataires principaux du message. Cela aurait dû être pris en considération par ses communicants. Même si, au final, la communication est passée. Cela restait le plus important. »
Jambon, « le ministre de l’unité »
Une image a interpellé des téléspectateurs. Dimanche soir, lors de la conférence de presse, Jan Jambon quitte précipitamment ses collègues, laissant son fauteuil tournoyer, sous le regard surpris de Charles Michel. A ce moment, le ministre de l’Intérieur est peut-être mis au courant de la vague de perquisitions qui va être menée dans les minutes qui suivent.
« Un ministre sur le qui-vive, cela donne une bonne image, une image de professionnalisme« , analyse Nicolas Baygert. « On le voit privilégier l’action à la communication. Finalement, Jan Jambon, au vu de son début de mandat troublé, s’en sort plutôt bien aujourd’hui. Il apparaît même comme le ministre garant de l’unité et de la sécurité du pays dans ces annonces malgré son étiquette politique. Il apparaît comme le Premier flic de Belgique, comme le sont en France les ministres de l’Intérieur qualifiés de Premiers flics de France. Il ne commet pour l’instant aucune erreur majeure dans sa communication de crise à l’inverse de Charles Michel qui n’est pas souvent carré. »
Pour le spécialiste, une crise révèle des hommes et des femmes politiques « qui peuvent changer de rôle, se transformer« . François Hollande, le président français l’a démontré après les attentats de janvier.
Les réponses aux attaques venues de l’étranger
Dès le lendemain des attentats, médias et politiques français ont chargé la Belgique qui aurait été incapable de prévenir les attentats et de surveiller ses djihadistes. « Juste après, on a vu des ministres fédéraux monter au créneau comme Jan Jambon ou, récemment, Didier Reynders. Ils ont pris le relais de la communication gouvernementale. Didier Reynders en tant que ministre des Affaires étrangères a joué son rôle de VRP de l’image de la Belgique et il l’a fait plutôt bien, comme sur le plateau du « Grand Journal » sur Canal+. Avec un message: celui de la dimension européenne de la problématique djihadiste, avec une « deterritorialisation » de la menace, avec une « Molenbeekisation », si je puis m’exprimer ainsi, qui touche d’autres villes en Europe, comme Saint-Denis.«
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