Comment la photographe officielle de Macron a mis en scène sa campagne

Entretien croisé paru dans Les Inrocks, le 30 mai 2017. Propos recueillis par .

Soazig de la Moissonnière, la photographe officielle d’Emmanuel Macron, a imposé son récit en images pendant la campagne, jusqu’à faire du politicien en marche un “homme providentiel”, parfaitement adapté aux institutions de la Ve République.

C’est un homme de dos. Sa silhouette conquérante, d’où émergent de fines lumières, domine un majestueux decorum en noir et blanc. Le jeu des perspectives fait reposer sur ses épaules la lointaine pyramide du Louvre. Comme si, de là-bas, des siècles le contemplaient. Ce 7 mai, le voici devenu le plus jeune président de la Ve République, qui attire autant qu’elle façonne les “monarques républicains”. Ces saisissants clichés des coulisses de la victoire d’Emmanuel Macron sont l’œuvre de sa photographe officielle, Soazig de la Moissonnière, la seule tolérée ce soir-là dans son entourage.

Architecte d’une communication visuelle bien huilée

En 2012, elle suivait la campagne du centriste François Bayrou, en freelance. Aujourd’hui âgée de 35 ans, elle a mis son art au service d’En Marche ! et s’est imposée comme l’architecte d’une communication visuelle bien huilée. Parée de 11 000 followers sur Twitter, elle suit l’ancien ministre de l’Economie depuis août 2016. Son point de vue épouse celui du témoin rapproché, fragmenté en myriades de contrechamps inédits. Paparazzo haut de gamme, elle immortalise Emmanuel Macron en figure présidentiable, bien avant que ce dernier ne pose ses chaussures cirées à l’Elysée. Instants (soi-disant) volés dans son bureau, silencieux, en train de noircir des feuilles. Ou allongé, les yeux fermés, “à méditer” – titrerait Society. Solennel au Mémorial de la Shoah, en osmose avec sa Première Dame, pensif sur le plateau du Grand Débat. Debout, toujours, immobile, fier et droit. Quasiment statuaire…

Certains la comparent à Pete Souza

Relayés par la com interne du parti, et même parfois par la presse (à l’instar du Huffington Post proposant de revivre “la marche d’Emmanuel Macron au Louvre, côté coulisses”), ses clichés ont transfiguré le trentenaire en homme providentiel prêt à marquer l’histoire. A tel point que certains la comparent à Pete Souza, l’iconique photographe en chef de Barack Obama.

“C’est une bonne portraitiste, plutôt classique, mais elle est très loin de l’intelligence visuelle de Souza, qui crée une chaleureuse proximité de tous les instants avec un personnage au sommet du pouvoir”, nuance le chercheur en histoire visuelle André Gunthert. Pour lui, les instantanés chic de Soazig de la Moissonnière relèvent surtout d’une construction stratégique visant à “associer la monumentalité et l’histoire à la figure du nouveau président, en un message parfaitement lisible, comme une publicité”.

Grandeur quasi monarchique

L’histoire, c’est Obama, mais également François Mitterrand pour l’aura mystérieuse, le Jacques Chirac des années 1990 pour “son naturel enjoué”, ou même JFK, revenu comme par miracle d’entre les morts sous la forme de l’ancien banquier. “Le noir et blanc des photos évoque le photojournalisme des années 1960 et perpétue un côté vintage à la Kennedy, développe Nicolas Baygert, expert en communication politique. L’américanisation participe à la dimension presque ésotérique de la candidature de Macron, auquel on attribue des vêtements présidentiels ni trop étroits ni trop larges : comme faits sur-mesure.”. Américanisation ou peoplisation ? Captés par un oeil aussi indiscret qu’incisif, ces images perpétuent ad lib le style Macron, développé des unes de Paris Match à celles de VSD – pas tant l’intimité crue que son artefact, sa mise en scène quotidienne et son contrôle total.

Entre illusion de l’intimité et grandeur quasi monarchique, ce kaléidoscope met fin de manière photogénique au mandat de la normalité. “Ces clichés illustrent la théorie des ‘deux corps du roi’, entre l’individu naturel d’un côté, et sa dimension divine, synonyme de l’Etat, de l’autre”, ajoute Baygert, qui voit en ces photos oniriques une “entreprise de réenchantement” de la présidence hexagonale. Fabrique à scénarios et à symboles éclatés qui ne serait rien sans l’apport de la binôme Brigitte, laquelle contribue au grand retour du topos du couple dynastique. “Cela n’a pas échappé à Paris-Match ni aux autres journaux people, trop heureux de retrouver cette figure classique de la représentation du pouvoir, après la parenthèse Hollande qui rendait son exploitation difficile” précise André Gunthert.

Leçon de com

Mais celle-ci résistera-t-elle à l’épreuve du temps, et du pouvoir ? “Les images ont une sorte de plasticité narrative : leur sens n’est pas fermé une fois pour toutes, on peut leur faire dire ce qu’on veut. En politique, les photos s’envolent, le jugement des contemporains reste”, tempère le chercheur. Envoûtés par cette leçon de com, les twittos fantasment déjà Soazig de la Moissonnière en “ministre de la Photographie”. En attendant, c’est le storytelling qui crépite au rythme de ses flashs.

Article avec illustrations : ici.

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