Entretien croisé avec Jérôme Jamin (ULg) pour Le Soir paru le 9 juin 2017. Propos recueillis par François Matthieu.
Renzi, Chirac, Cameron… Tous ces dirigeants ont manifesté une certaine forme d’arrogance avant l’élection ou le référendum qu’ils ont eux-mêmes instaurés. Mais ce n’est pas la seule raison de leur échec.
Lorsque, devant les caméras de télévision, Theresa May commente la bouche en cœur le communiqué de presse qui est parti plus tôt dans la matinée, et qui annonce à la surprise générale des élections législatives anticipées, il y a dans son regard la petite flamme de l’assurance. Il y a la certitude du bien-fondé d’une décision qui tombe sous le sens.
Il y a la certitude, surtout, de pouvoir s’arroger cette légitimité citoyenne qui lui fait tant défaut. La dame de fer version 2.0 campe (plutôt) bien la posture du roc en pleine tempête, nourrie par ces vents démocratiques tempétueux qui ont isolé encore un peu plus l’île britannique de l’Union européenne. Mais il manque le soutien populaire à l’austère Theresa May, elle qui a débarqué « par hasard » au 10 Downing Street à la suite de la démission de David Cameron, après ce Brexit du 23 juin 2016.
Et patatras. Les choses ne sont pas précisément déroulées comme souhaité… Pourquoi ? Excès de confiance ? Arrogance ? Malheureux concours de circonstances qui a amené l’assurance de la première dame à s’étioler au gré d’interventions sans cesse plus malhabiles ? C’est ce que les Grecs appelaient l’hybris. L’orgueil. Le péché de vanité confinant à la démesure. « Il y a chez l’homme politique cette forme d’assurance exagérée que l’on peut manifester quand on est au faîte du pouvoir, grisé par la hauteur des sommets », estime Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’ULB et à l’Ihecs. Cette forme d’arrogance funeste fait florès.
« On peut aussi se souvenir de Matteo Renzi il y a quelques années [mois – le 4 décembre 2016 – NDLR]. Lui aussi n’avait jamais été élu auparavant et recherchait cette légitimité populaire qui assoirait définitivement son pouvoir ». Mal lui en a pris : jamais la réforme électorale qui faisait l’objet du référendum qu’il avait instauré n’a-t-elle été au cœur de la campagne. Il retombe rapidement de son piédestal, quittant le Palazzo Chigi de Rome sans gloire. « En personnalisant ce vote sur la réforme de la Constitution, Matteo Renzi a pris le risque de voir le « non » l’emporter en orientant les regards sur sa personne plutôt que sur le fond du dossier, qui était pourtant complexe et important pour l’avenir du système politique italien », poursuit Nicolas Baygert.
Le même sort est réservé à Jacques Chirac en 1997 quand, sûr de lui, il dissout l’assemblée nationale pour briser la morosité ambiante, casser la spirale négative dans laquelle le gouvernement français se trouve, « pour faire de grandes choses ». Officiellement, Chirac justifiait cette dissolution par la nécessité pour le gouvernement de bénéficier du « soutien des électeurs » à l’aune des grands chambardements européens (monnaie unique en tête). Résultat : 5 ans de cohabitation avec le PS qui laisseront des traces dans l’histoire de la 5ième République.
Des solutions à la déconnexion
Chirac, Renzi, May… et tant d’autres auraient-ils aussi tous fait cette même erreur de jugement et de ressenti par rapport à l’opinion populaire ? Sous des formes différentes, le même constat d’hybris… et de déconnexion avec le terrain ? « Je ne suis pas sûr qu’il y a une déconnexion particulière entre Theresa May aujourd’hui ou Jacques Chirac hier, et leurs peuples respectifs. Beaucoup de responsables politiques de haut niveau sont confrontés à cette difficulté », tempère le philosophe Jérôme Jamin (ULg). « Le problème se situe au niveau de l’incapacité des partis politiques à apporter des solutions. Lorsque ce phénomène se prolonge, les élus apparaissent plus comme des parvenus qui se disputent entre eux pour leurs intérêts personnels que comme des gens qui veulent véritablement trouver une solution. Il y a dans les démocraties représentatives européennes un problème structurel qui prend sa source dans l’idée même du « parti politique » devenu, ou perçu comme contre-productif ».
Pour le professeur de sciences politiques, le problème n’est pas récent mais la perte de souveraineté nationale à de nombreux niveaux et l’apparition de problèmes sur lesquels on a peu de prise (dérèglement climatique, autonomie des marchés financiers, etc.) aggravent la situation et affiche l’impuissance politique à un point inacceptable. « On ne m’enlèvera pas de l’idée qu’il y a tout de même aussi un problème de compréhension du récit politique dans leur chef », enchaîne Nicolas Baygert. « En personnalisant les enjeux, plutôt qu’en abordant le fond, on instaure une sorte de défiance à l’égard du personnel politique ». Et forcément, la population ressent cette incarnation politique. Pour le dire autrement, Renzi faisait peur parce que les pouvoirs qu’il s’arrogeait au travers de cette fameuse loi électorale étaient loin d’être anodins.
Un flou nuisible
Arrogance, vanité, manque de compréhension du récit politique… L’échec de Theresa May s’explique par ces raisons mais pas seulement. La volonté d’incarner un leadership solide et stable s’est vite heurtée au problème de consistance des réponses apportées à l’enjeu principal de l’élection : le futur des négociations sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Un mandat clair pour négocier le Brexit : c’est ce que Theresa May souhaitait. Mais il n’a jamais – ou très peu – été question de cette problématique dans la campagne, l’empêcheur de tourner en rond qu’est Jeremy Corbyn ramenant subtilement les enjeux de l’élection sur les problèmes socio-économiques et de sécurité, qui touchent davantage la population.
Les gens ont voté « pour ou contre » et le pays se retrouve pour la première fois depuis longtemps très divisé !
Sur le Brexit, rien. Ou presque. Ou de façon trop vague. « C’est le problème d’une élection ou d’un référendum lorsqu’il porte sur une question trop vaste, et donc trop floue pour se faire correctement une idée des enjeux. Le référendum sur la sortie de l’Union au Royaume-Uni n’a pas été accompagné des pistes à envisager pour sortir, de leurs coûts et du temps que cela allait impliquer. Les gens ont voté « pour ou contre » et le pays se retrouve pour la première fois depuis longtemps très divisé ! Pas sur le plan droite/gauche ou Tories/Labour, ni même pro ou anti-Europe, mais sur d » autres éléments qui sont bien plus profonds et qui n’ont fait l’objet d’aucun débat, par exemple le clivage perdants (et grands perdants) /gagnants et (grands gagnants) de la mondialisation. En fonction de votre position au sein de ces 4 catégories, votre opinion sera fortement influencée », explique Jérôme Jamin (Ulg).
On a vu ce que ça a donné : May paye cher ce manque de clairvoyance – autre forme d’arrogance ? – sur ces clés de lecture de ce 8 juin. Une date qui ouvre une nouvelle période d’incertitudes pour les Britanniques. Une de plus. Profil bas, désormais…
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