Entretien croisé paru dans l’Echo, le 17 novembre 2017. Quelques corrections nécessaires.
La venue de l’influenceur « Vargasss92 » témoigne d’un phénomène plus large, à savoir la difficulté de suivre pour tout un chacun les évolutions d’un monde numérique en mutation ultra rapide.
Vargasss92, un identifiant comme tant d’autres dans l’immensité du web… et pourtant, c’est bien ce compte méconnu du grand public qui a amené aux émeutes de mercredi, place de la Monnaie à Bruxelles.
Suivie par 450.000 personnes sur Snapchat et 600.000 sur Instagram, cette identité numérique cache un gars de 21 ans aux blagues foireuses et à l’orthographe douteuse, se filmant au gré des envies et des déplacements. Si l’on peut évidemment critiquer l’intérêt même des contenus que le jeune produit, allant de blagues potaches aux délires entre potes en public, les faits sont là: la simple venue de l’influenceur a attiré une centaine de fans dans le centre-ville, avant de déboucher sur les émeutes que l’on connaît.
L’heure est donc aux questions. Comment pareil incident a-t-il pu se produire suite à la venue d’une et une seule personne? Pourquoi ce genre d’influenceur passe-t-il sous le radar des autorités bien qu’il ait déjà amené à des débordements similaires par le passé en France? Quelles solutions conviendrait-il d’apporter?
Décalage générationnel…
Si aucune réponse tranchée n’existe véritablement à ces interrogations, il ressort tout de même de l’incident que l’activité d’un internaute sur les réseaux sociaux (et le web) importe désormais tout autant que celle de ses pairs dans la vie réelle.
Pour François Heinderyckx, directeur du département des sciences de l’information et de la communication de l’ULB, » on s’est bercé d’illusions en se disant qu’il existerait une sorte de discontinuité, voire de schizophrénie, entre vies réelle et virtuelle« . « Nous sommes sortis d’un système de vase clos » [NDLR : en réalité mon propos épinglait la coexistence de communautés en ligne – foules sentimentales numériques – fermées sur elles-même, produisant une grammaire communicationnelle en vase clos], abonde Nicolas Baygert, professeur en sciences de l’information et de la communication (IHECS, ULB, CELSA et Sciences Po Paris), avant d’aborder ce qui constitue, peut-être, le fond du problème en dehors des débordements. Cela va de soi, » notre génération est devenue analphabète en quelque sorte face à de tels phénomènes« . Alors, pour le citoyen lambda, passe encore, mais quid des autorités? Pour ce chercheur qui a longtemps travaillé sur la question de la mobilisation (notamment en ligne) des électeurs des partis contestataires (Tea Party, Mouvement 5 Étoiles), il faudrait peut-être que la police réfléchisse à avoir » recours à desconsultants externes ou à des conseillers plus jeunes en interne pour sa politique de suivi des événements. Cela pourrait constituer un avantage considérable« . Après tout, » le numérique fait aujourd’hui partie de la gestion de risque au sens large« .
… la police tente d’y remédier
Interrogé sur la question, Olivier Bogaert, commissaire à la Computer Crime Unit, indique que » des projets sont menés en ce sens à Bruxelles et sur l’arrondissement judiciaire de Mons-Tournai ». Par ailleurs, « un monitoring des réseaux sociaux est déjà effectué par un service spécifique dans le cas de gros événements« , précise Sandra Eyschen, porte-parole à la police fédérale. » Nos équipes suivent l’évolution de la situation à l’aide de mots-clés en vue de transmettre les informations collectées aux autres services« .
Quid, dès lors, de l’ »échec » de mercredi? Difficile d’être partout… Quel sera le prochain réseau social en vogue? Qui sera la prochaine star des ados? Les boules de cristal n’existent pas. De plus, le cadre légal n’aiderait pas au bon travail des forces de l’ordre. » Des lois doivent être adaptées« , lance un fin connaisseur, notamment en ce qui concerne les délais de conservation des données personnelles. En effet, en l’état, le temps imparti pour une enquête électronique a été » extrêmement raccourci » sur décision européenne, ce qui pose évidemment problème dans le cas de dossiers de harcèlement, d’agression verbale, et autres phénomènes du net pour lesquels une continuité des actes dans le temps doit être établie. Lenta lex, sed lex…
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