Le Grand Débat national de Macron, poudre aux yeux ou évolution démocratique ?

Article sur le site info de la RTBF reprenant quelques éléments d’analyse évoqués lors de mon intervention radio de dimanche 20 janvier (Les Décodeurs – La Première).

Emmanuel Macron a publié dimanche dernier une lettre aux Français sur le site de l’Elysée, dans lequel il explique son projet de grand débat national : 4 thématiques : fiscalité, services publics, transition écologique et démocratie, le tout décliné en 35 questions. Jusqu’au 15 mars, les citoyens sont appelés à participer, via le net, via des débats organisés au niveau local, ou dans des cahiers de doléances déposés dans les communes. Que penser de cette initiative, assez inédite mais risquée aussi ? Effet de communication ou évolution démocratique ?

Les Décodeurs vous aident à y voir plus clair, avec Nicolas Baygert, professeur en communication politique à l’IHECS, à Science Po Paris, qui suit l’actualité française de très près.Et avec John Pitseys, chercheur au CRISP, qui s’intéresse tout particulièrement à la démocratie sous toutes ses formes.

 

Les mesures de la dernière chance, pour le président français ?

L’objectif d’Emmanuel Macron est d’enclencher un nouveau chapitre pour reprendre le contrôle et reconquérir les Français, par le dialogue et par un dispositif adapté aux attentes et à ses propres aptitudes intellectuelles, explique Nicolas Baygert.

« C’est ambitieux, puisqu’il se dresse seul face aux maires, dans une conception presque héroïque de la communication politique. Et c’est un processus risqué parce qu’il campe à  nouveau cet homme providentiel, cet homme qui sait tout, avec ce sentiment de supériorité qui pourrait exacerber encore une fois les critiques. Un autre objectif est de saturer les médias, de faire bouger le débat vers une analyse de sa performance, agissant comme un contre-feu face aux actes des gilets jaunes. On assiste à un one-man show impressionnant que les journalistes politiques adorent et qui a reconquis certains maires. Il faudra voir si l’opinion publique suivra ou restera de marbre. »

Le retour d’une forme de démocratie participative ?

Pour John Pitseys, Emmanuel Macron ne cherche pas à mettre en place davantage de démocratie participative. C’est plutôt une manière de réagir à un double décalage :

  • Le décalage entre Emmanuel Macron candidat – au style assez décentralisé, participatif, valorisant la société civile et les corps intermédiaires – et Emmanuel Macron président, qui n’a pas dirigé la France de la manière avec laquelle il a fait campagne. Il a pratiqué un style de gouvernement vertical, centralisé, hiérarchique. Aujourd’hui il essaie de reconnecter ces deux aspects.
  • Le grand débat est d’ailleurs lui-même une sorte d’hybridation entre Macron candidat et Macron président : on a d’un côté des rencontres décentralisées avec des discussions sur une grande variété de thèmes. Et de l’autre côté, un débat dont le déroulement et les conclusions restent dans les mains de l’exécutif et donc du président, et qui maintient à l’écart le motif central du combat des gilets jaunes : la question du consentement à l’impôt.

Une initiative crédible ?

On ne peut pas encore le dire mais John Pitseys soulève quelques questions :

  • Est-ce un processus de démocratie direct ? Non, puisque les citoyens ne sont pas appelés à participer directement et à voter directement pour ou contre une mesure.
  • Est-ce un processus de démocratie participative ? Non, puisqu’on est uniquement dans un processus de consultation, le centre de toutes ces rencontres reste le gouvernement français.
  • Est-ce un processus de démocratie délibérative ? Non, puisque cette dimension asymétrique existe bien.

« C’est comme si le président avait réagi au mouvement des gilets jaunes comme le pouvoir pouvait réagir il y a très longtemps à une sorte de jacquerie. Comme au Moyen Âge, on convoque le peuple à palabrer sous un grand chêne, sous la protection bienveillante du sceptre du roi », constate John Pitseys.

La Lettre aux Français, proximité ou coup de com’ ?

Avant le corps du texte tapé au clavier, on peut lire en lettres manuscrites, au stylo bleu, un en-tête : « Chères Françaises, chers Français, mes chers compatriotes…  »

Avec cette lettre, Emmanuel Macron veut donner à sa présidence une sorte de dimension littéraire, ce qui est très français, proche de ce qu’ont fait François Mitterand ou Nicolas Sarkozy, rappelle Nicolas Baygert. Il veut établir un rapport épistolaire, donc un rapport direct entre lui et tous les Français. Il envisage de faire envoyer la lettre par la poste, même si elle est disponible en ligne et dans les journaux.

Il ne s’agit pas d’une lettre de justification, c’est une lettre d’explications dans laquelle il maintient son cap. C’est aussi une lettre d’ouverture dans laquelle il pose 35 questions, dont celle du recours au référendum.

Cette grande consultation de fond auprès de la population, une première ?

Cette initiative est due en partie aux références idéologiques et politiques d’Emmanuel Macron. Il valorise un dialogue sans trop d’intermédiaires entre le pouvoir et le citoyen, il fait confiance à la discussion pour arriver à convaincre.

Cette mise en discussion des choses est assez novatrice, explique John Pitseys, qui relève un mélange d’éléments originaux : une prise de conscience que la discussion est essentielle, le besoin de remettre de l’huile dans les rouages grippés de la ‘start-up Nation’ et de recréer de la confiance, et le signe que la France n’a jamais guillotiné tout à fait l’Ancien Régime.

La démarche plus importante que le résultat ?

Selon Nicolas Baygert, la démarche compte effectivement, c’est un format qui convient bien à Macron, ce grand oral qui lui permet de démontrer sa maîtrise impressionnante. Et il a impressionné : 6h37 en Normandie, 6h35 à Souillac. C’est une épreuve d’endurance tout à fait grisante et euphorisante. C’est un marathonien de la parole, il adore tester sa capacité de séduction. Les résultats sont pour le moment probants, face à ce type de public. Une chorégraphie se met en place et la scénographie est très étudiée. « Sur le fond, l’idée est de réintroduire cette compétence nécessaire, liée au job de décideur public ».

John Pitseys rappelle que le débat est cadré, tant au niveau des sujets, que de la procédure et du style de la discussion. Il n’est donc pas tout à fait ouvert. Par ailleurs, il ne va pas facilement produire des résultats, car il manquera du temps nécessaire pour traiter ces carnets de doléances et les transformer en sujets de débats.

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