Interview croisée (avec Pascal Delwit – ULB) parue le 20 mai 2019 dans l’Echo. Propos recueillis par Sophie Leroy.
Comment font les socialistes pour écarter les dangers du PTB et d’Ecolo, faire oublier le bilan Michel pas mauvais? Les socialistes n’ont pas la tâche facile pour se démarquer dans cette campagne qui pousse sur l’avant-scène le climat.
Le parti socialiste n’est guère monté au créneau durant cette campagne électorale. Rappelez-vous, Paul Magnette avait refusé la confrontation avec Bart De Wever, le PS ne voulait pas de duels électoraux avec la N-VA. Non, cette fois, le PS ne la joue pas « grande gueule ».
Pourtant, ça ne va pas si mal pour lui: il s’est renforcé dans les intentions de vote pour les fédérales. En Wallonie, il atteint 28,5%, un bond de 4,2% par rapport au précédent sondage, ce qui lui permet de renforcer sa première place. A Bruxelles, il progresse à 17,3%.
Les écueils, et comment les éviter
Plusieurs facteurs handicapent le PS et ont formaté sa campagne:
- Le thème actuel, c’est le climat. Pas les pauvres.
- Le PS n’avait donc pas son ennemi habituel, la droite, face à lui, mais plutôt les autres partis de gauche: Ecolo et PTB.
- La campagne s’est surtout focalisée sur une opposition entre le MR et Ecolo.
« En effet, cette campagne est fixée sur une autre dynamique que celle de 2014 », analyse Pascal Delwit, politologue à l’ULB. « Le PS a décidé de ne pas entrer dans une dynamique de définition d’un ennemi qui structure la campagne, de ne pas intervenir dans la polémique entre le MR et Ecolo. »
L’argumentaire traditionnel mis à mal
Le climat, la lutte contre le réchauffement, les marches des jeunes ont monopolisé l’attention ces derniers mois.
« Le contexte rend la manoeuvre plus difficile pour le PS, parce que le thème central de la campagne n’est pas le sujet qui généralement favorise l’argumentaire socialiste », explique Nicolas Baygert, maître de conférence à l’ULB. Le clivage ordinaire de la politique belge a été bousculé par un autre projet de société, « l’écologie, qui constitue une véritable alternative de pouvoir, comme le montrent les sondages ».
On l’a encore entendu ce lundi matin, lors du duel entre Charles Michel et Elio Di Rupo sur la Première qui a montré le président du PS sur la défensive plutôt qu’à l’attaque. Ce débat, tout comme celui qui a eu lieu il y a quelques jours sur RTL-TVi, est bien représentatif de l’effort, dans le sprint final, de bombarder Elio Di Rupo au front face au Premier ministre en affaires courantes.
Difficile de se démarquer dans le contexte actuel… La conférence de presse organisée ce dimanche au boulevard de l’Empereur, avec les deux ténors socialises, Di Rupo et Magnette, a essayé, reprécisant les « 10 lignes rouges » du parti.
Guerre des gauches
La logique déployée par le PS, c’est de se poser comme seule alternative à ce qu’il appelle « la majorité de droite ». « En fait, désormais – et c’est valable pour tous les partis -, la campagne est une prolongation d’un effort de communication politique jamais relâché ces dernières années, poursuit Nicolas Baygert. Le temps politique s’est transformé, on est en campagne permanente. Pendant toute la législature, le PS a dénoncé quasi quotidiennement la politique du gouvernement qu’il appelle ‘MR/N-VA’, avec abstraction des autres partenaires de la majorité. »
« Cette fois, nous explique encore le chercheur de l’ULB, le PS cherche à tout prix des éléments différenciateurs avec les autres formations de gauche, surtout le PTB. Il se positionne avec un Di Rupo ayant pris ses responsabilités, ce que le PTB n’a pas fait. » Pour rappel, les discussions entre le PTB et le PS pour former des majorités au niveau communal à Liège, Charleroi et Molenbeek avaient échoué.
Quelles sont les coalitions possibles?
Le PS s’est davantage focalisé sur des actions de terrain, « avec des réunions publiques, les opérations Di Rupo en Hainaut et Daerden à Liège », précise Pascal Delwit. « Cette campagne renvoie l’image d’un parti ‘sérieux et à l’écoute des gens’, avec deux messages. Le premier: pour éviter un deuxième gouvernement de droite, le PS est le meilleur choix. Le second: nous sommes un parti sérieux. »
Les socialistes font face à deux menaces. D’un côté, une frange de son électorat pourrait succomber aux sirènes du PTB qui veut récupérer la frange la plus radicale, ouvrière, de la gauche. Une autre partie des sympathisants du PS est, elle, séduite par Ecolo et son progressisme affiché, avec des valeurs comme une politique centrée sur les minorités, les problèmes des migrants et réfugiés. « Un courant qui s’impose parmi les jeunes, note Nicolas Baygert. Le risque pour le PS, c’est de perdre une partie de son électorat, d’où l’importance de se positionner comme une force plus stable. Cette stabilité est son argument de campagne…«
Quid des « affaires »?
Pas mal de couacs, largement relayés par les réseaux sociaux, ont émaillé cette campagne: le #meatgate du MR, le tract électoral d’Ecolo, l’affaire Fourny du cdH, les pensions de la N-VA… Le PS, pourtant abonné aux « affaires » est resté en retrait, malgré l’annonce de l’instruction judiciaire ouverte à l’encontre d’Alain Mathot concernant l’origine des fonds ayant permis l’acquisition d’une villa sur une île thaïlandaise. Le genre d’annonce qui ne secoue même plus l’électorat socialiste… « Le PS a plus à craindre de la guerre des gauches… parce que son électorat est quasi immunisé contre ce genre de scandale », réagit Nicolas Baygert.
Alors, bons sondages, campagne sobre… Qu’est-ce qui attend le PS? Le risque, avec ce genre de campagne, « c’est que le PS semble trop vouloir revenir dans le gouvernement. Et aussi, qu’il se montre trop pondéré par rapport à un électorat qui hésite entre lui et le PTB, surtout dans les bassins ouvriers. Oui, le risque est que cette campagne ne soit perçue comme trop « en dedans ». Même si les propositions ne le sont pas!« , juge le politologue Pascal Delwit.
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