Le Vlaams Belang, vainqueur des urnes et des réseaux sociaux

Entretien pour Moustique paru le 27 mai 2019. Propos recueillis par Noémie Jadoulle. 

C’est indéniable, le parti d’extrême droite a su faire avec son temps en investissant massivement dans sa communication digitale. Publicités ciblées, vidéos et infographies… tout a été (justement) calculé pour le mener vers la victoire.

Après la vague verte des communales, c’est une véritable marée noire qui s’abat sur la Belgique depuis hier soir. Le Vlaams Belang, parti flamand d’extrême droite n’ayant pas connu un tel succès depuis 2004, gagne 15 sièges à la Chambre et 17 au Parlement flamand.

Pour expliquer les raisons d’un tel succès, les experts parlent de son positionnement en tant que « nouveau parti anti-système », d’une « gauchisation » de son programme socio-économique, de son franc-parler sur la migration… mais aussi de sa maîtrise des réseaux sociaux. Quelques semaines avant les élections, plusieurs internautes avaient ainsi été surpris de tomber nez à nez avec un post sponsorisé du parti en plein milieu de leur fil Facebook ou Instagram. Dans sa ligne de mire, le parti ciblait entre autres les jeunes lisant le journal Le Soir

Un budget de 400.000€

D’après les chiffres de la bibliothèque publicitaire Facebook, le Vlaams Belang a investi 400.551€ entre mars 2019 et le 25 mai dernier « pour des publicités politiques ou liées à des débats d’intérêt général ». À titre de comparaison, la N-VA avait dépensé environ 300.000€ en 2014 pour sa communication digitale. « Il y a clairement eu un investissement massif, notamment pour aller chercher un électorat de primo-votants », analyse Nicolas Baygert, Docteur en information et communication (UCL) et Docteur de l’Université Paris-Sorbonne. Dans les statistiques disponibles sur la bibliothèque Facebook, on voit en effet que le groupe des 18-24 a été majoritairement touché par le ciblage publicitaire du parti.

Des jeunes pour viser les jeunes

Le Vlaams Belang bénéficie aussi de l’expérience en réseaux sociaux de ses deux jeunes leaders : Tom Van Grieken, 32 ans, et Dries Van Langenhove (par ailleurs très actif sur sa propre page Facebook), 26 ans. « Dries Van Langenhove est habitué à manier la communication politique en ligne avec Schild & Vrienden où il a déjà mis en place tout un réseau et un style de communication qui a été adopté et récupéré par le Vlaams Belang. Son groupe-cible (les jeunes) est déjà habitué à son discours. C’est presque une forme de co-branding qui s’est mis en place puisqu’on avait déjà une marque forte (Schild & Vrienden) qui a bénéficié à l’effort de campagne du Vlaams Belang », explique notre expert, également Maître de conférences à l’ULB et chargé de cours à l’IHECS.

Et pour aller chercher de nouveaux électeurs, le parti n’a pas hésité à frapper fort en s’alliant publiquement avec Marine Le Pen. Début mai, la dirigeante du RN appelait tous les francophones à voter pour le Vlaams Belang dans une vidéo publiée sur la page Facebook du parti d’extrême droite. En utilisant à bon escient le ciblage publicitaire, le Vlaams Belang a également pu diffuser des posts fabriqués sur mesures pour chaque public-cible: des messages sur le chômage au 18-24 ans et sur les pensions aux plus âgés.

Partis francophones: de malaises en malaises

Face à cette communication digitale bien rodée, les autres partis auraient-ils sous-estimé le rôle des réseaux sociaux dans la campagne politique ? Côté francophone, on a ainsi pu voir déferler une ribambelle de vidéos, plus risibles les unes que les autres. La liste Destexhe avait ainsi repris sans aucune gêne un morceau de Big Flo et Oli. La vidéo a rapidement été supprimée à la demande des deux rappeurs. Créant également un malaise, les jeunes cdHont tenté de sensibiliser leurs électeurs à l’abandon des animaux de compagnie. En remplaçant le chien par une femme (!) tenue en laisse (!!) par un homme (!!!), le parti est clairement passé à côté de son message et a également retiré sa vidéo des réseaux sociaux.

Mais au-delà du ridicule, la palme du bad buzz revient peut-être au MR et sa vidéo de promotion pour Sabine Laruelle. Ouvertement orientée contre le parti écologiste, la campagne a été décrite comme « une insulte à notre intelligence collective » par Zakia Khattabi, outrée par les propos mensongers proférés dans la vidéo. Bref, cette série de mauvais pas montre que certains partis sont encore à la traîne en matière de communication digitale.

Un vrai métier

« Il serait peut-être temps de se rendre à l’évidence et de considérer que la communication politique est un métier. Pendant trop longtemps, les partis ont voulu gérer cet aspect-là eux-mêmes, notamment sur les réseaux sociaux, avertit Nicolas Baygert. Or, la communication en ligne fait partie de l’effort de campagne depuis une quinzaine d’années. Il est temps de miser davantage sur une gestion professionnelle de ces aspects de la campagne ».

Consciente de cet enjeu, la N-VA avait fait appel en 2014 à une agence de communication privée (Brandhome) pour prendre en main sa campagne. « Il y avait une stratégie très claire derrière laquelle l’ensemble des candidats devaient se ranger. Le message qui en ressortait était donc très homogène, car à partir du moment où tout le monde joue le jeu et que certains messages sont lancés au même moment par l’ensemble des candidats d’un parti sans aucune dissonance dans l’argumentaire, cela démontre une gestion beaucoup plus professionnelle d’une campagne de communication ».

Les partis francophones seraient donc encore loin de cette expertise… « Par habitude, on fait davantage confiance à des sympathisants, à l’entourage, au staff habituel, remarque Nicolas Baygert. L’autre problème, c’est la tendance à la décentralisation, pointe le professeur en communication politique. Chaque candidat va avoir tendance à développer des initiatives personnelles ; là aussi on perd en cohérence aux yeux de l’électeur ».

Avec des slogans clairs, une identité graphique forte, des vidéos professionnelles, un ciblage publicitaire réfléchi et un budget massif, le Vlaams Belang semble avoir compris les rouages des réseaux sociaux. Une intelligence digitale qui semble avoir payé…

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