Interview dans Le Soir, parue le 3 juillet 2019. Propos recueillis par Mathieu Colinet.
La désignation de Charles Michel a été accueillie dans les partis francophones par quelques messages de félicitations, des réactions plus acérées et des silences éloquents.
On a connu enthousiasme plus manifeste, félicitations plus enjouées. La désignation de Charles Michel à la présidence du Conseil européen a suscité mardi parmi les leaders politiques francophones des autres partis un mélange de silences entendus, de commentaires acérés et de réactions polies mais sentant tout de même un peu le « service minimum ». Tout cela a fait dire à certains que la promotion d’un Belge à telles fonctions méritait sans doute mieux que cet accueil tiède et que la classe politique du sud du pays était au mieux rabat-joie, au pire particulièrement crasse dans sa volonté à ne pas être élégante.
« Disons que Charles Michel cumule différents handicaps aux yeux de ses homologues, analyse Jean Faniel, le directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp). Le principal, c’est évidemment d’avoir été à la tête d’un gouvernement, devenu minoritaire, dont la politique s’est régulièrement heurtée aux valeurs portées par le PS, le PTB, Ecolo, Défi et même le CDH. Dans ces conditions, il est très difficile pour les chefs de file de tous ces partis de féliciter celui qu’ils voient comme un adversaire. J’entends par là pas simplement un adversaire en termes de petits jeux électoraux mais aussi en termes de projets de société. Quand d’autres portaient des projets de société marqués selon les cas par davantage d’ouverture, de solidarité, Charles Michel incarnait lui une politique très dure en matière migratoire et favorisant plutôt les entreprises au détriment des travailleurs, des allocataires sociaux… »
« Une stratégie de répudiation »
Si la politique du dernier gouvernement fédéral aurait ainsi durablement déclassé Charles Michel aux yeux de ses partenaires francophones, le souvenir du « péché originel » qui a permis à la Suédoise d’exister apporterait aussi au discrédit dont souffre le Wavrien. « Il reste celui grâce à qui la N-VA a accédé au pouvoir et a imprimé sa marque forte sur la politique belge, indique Jean Faniel. Le tout en reniant l’engagement qu’il avait pris durant la campagne de ne pas s’allier avec la N-VA. Tout cela est encore assez vif dans les mémoires. »
La séquence politique actuelle peut offrir un autre élément d’explication à cette modération dans les réactions selon Nicolas Baygert, professeur en communication politique à l’ULB et à l’Ihecs. « Jusqu’à sa prise de fonction, Charles Michel restera l’homme fort du MR. Or, comme on peut l’observer actuellement, son parti fait face à une espèce de stratégie de répudiation dans le contexte des négociations politiques actuelles. Par rapport à cela, les autres partis ne voudraient pas que le MR puisse tirer de quelconques lauriers de cette occurrence extérieure à la politique belge. »
Des fonctions européennes peu prisées
Le faible enthousiasme qui transparaît des réactions adressées au Premier ministre belge témoigne peut-être aussi du prestige relatif que l’on prête en Belgique aux fonctions européennes. « En tout cas, dans d’autres pays, on sent autour d’elles une fierté qui débouche sur de l’autocongratulation, indique Nicolas Baygert. En Belgique, du côté des partis francophones, cela semble beaucoup plus vu comme une ex-filtration, comme une voie de garage en fin de carrière. Cela dit peut-être de l’intérêt relatif de la classe politique belge pour les fonctions européennes. »
Action du gouvernement fédéral, ressentiments politiques plus anciens, contexte post-électoral : est-ce que ces motivations-là, au-delà des stratégies partisanes, n’auraient pas pu être contrebalancées par d’autres davantage liées à la volonté de saluer le parcours personnel d’un homme ? Autrement dit, est-ce que Charles Michel pâtit également parmi ses collègues des autres partis d’un manque d’estime autour de sa personnalité « En tout cas, il ne semble pas bénéficier de la même que celle dont jouissait Herman Van Rompuy par exemple, outre la stature que l’on prêtait à ce dernier, indique Jean Faniel. On a régulièrement raconté cet épisode tiré d’un comité de concertation entre Charles Michel, Premier ministre, et Paul Magnette, ministre-président wallon. Selon le récit qui en est fait, Paul Magnette aurait fini par dire : « Charles, ton petit sourire, tu peux te le garder ». Bien sûr, cela peut paraître anecdotique mais je crois que c’est révélateur de relations qui n’ont pas toujours été très bonnes. Cet élément-là peut s’être ajouté au reste. »
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