Insultes en politique: « La parole perd de son importance et de sa superbe »

Compte rendu RTBF Info de l’interview radio sur La Première du 28 août 2019.

L’insulte est-elle devenue la nouvelle arme politique ? Le dernier cas d’école vient du président brésilien, Jair Bolsonaro, qui s’en est pris la semaine dernière à Brigitte Macron.

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On sort effectivement des codes de la diplomatie habituelle et on assiste à un relâchement de la parole politique.

« On voit une dégradation dans les dialogues ou dans la possibilité même d’un dialogue. On pourrait dire qu’on assiste aujourd’hui à l’avènement d’un nouveau type de communication, d’un style politique. Dans cette transformation et ce côté désinhibé dans la prise de parole, il y a parfois le recours à l’insulte et finalement à un style d’échange, à un style de discours que l’on réserve normalement au cadre privé », explique Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’ULB.

Vous avez des personnalités qui sont connues pour une forme de vulgarité

Mais est-ce une communication politique réellement calculée ? Selon lui, il y a « des dérapages contrôlés comme il y a des dérapages incontrôlés »« Je pense que vous avez des personnalités qui sont connues pour une forme de vulgarité. Si on cite le cas de Jair Bolsonaro, dans sa longue carrière politique, il y a toute une série de faits qui ont été répertoriés, filmés et mis en boucle dernièrement pour rappeler qu’on avait affaire à un personnage qui avait l’habitude de ce genre de frasques. »

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Ce qui inquiète le professeur, c’est de voir que ces paroles et attaques ne laissent pas de traces.« C’est-à-dire qu’on se souvient des échanges via la plateforme de réseau social Twitter entre le leader nord-coréen et Donald Trump avec des véritables insultes, parfois sous la ceinture, sur l’âge et parfois même sur le physique, et on voit que ça n’a finalement pas réellement impacté les relations entre les deux hommes, qui sont quand même arrivés à se rencontrer, à discuter et échanger. Donc, on voit finalement que la parole perd de son importance et perd de sa superbe. Les indicateurs que l’on avait avant pour mesurer l’état de santé des relations entre différents pays sont aujourd’hui en train de disparaître. »

Insultes et vulgarité, des armes qui payent

Et se rapprocher des électeurs en essayant de se montrer loin du politiquement correct est une arme qui paye. « Nous sommes dans une phase de la communication politique aujourd’hui que l’on pourrait décrire comme une campagne permanente. On ne sort jamais de la campagne et c’est tout à fait visible aux États-Unis : Donald Trump n’a finalement jamais cessé de faire campagne et il continue à s’adresser à sa base et à ses supporters. Même chose chez Bolsonaro ou chez Salvini. Il ne cherche pas à policer ou à modérer ses propos pour s’adresser à l’ensemble des citoyens de son pays, mais il cherche à maintenir cette forme de radicalité qui a fait son succès et qui est garante d’une légitimité et d’une authenticité aux yeux de son électorat. Donc, finalement, on maintient le style de discours électoral radical et agressif vis-à-vis des adversaires tout au long du mandat, ce qui amène évidemment à toute une série de sorties de piste plus ou moins contrôlées. »

Par contre, cela n’apporte jamais de véritables résultats sur la scène internationale, insiste-t-il.« Donc, je pense qu’Emmanuel Macron ou d’autres leaders, notamment Angela Merkel, vont laisser passer. Vous avez des leaders comme Angela Merkel qui ne peuvent pas s’empêcher de tourner de l’œil ou de grimacer pendant l’une ou l’autre sortie un peu hors piste de la part d’un Donald Trump, mais on en reste là. On sait très bien qu’à un moment donné on se retrouve autour de la table et qu’on va devoir négocier entre États de manière beaucoup plus sérieuse. Mais cela entache encore une fois le travail des diplomates, cela rend leur tâche plus compliquée et on voit que l’ambassadeur du Brésil à Paris a actuellement beaucoup de mal à défendre son président. »

L’importance des réseaux sociaux

L’insulte en politique existe depuis toujours. Quand on regarde dans l’histoire, dans les années 80 ou les années 70, on se souvient d’autres leaders politiques qui se sont illustrés par des propos parfois extrêmement durs ou qui s’attaquaient à une personne ad hominem.

Mais Nicolas Baygert tient à souligner un élément : l’importance des réseaux sociaux. « C’est la caisse de résonance et l’immédiateté qu’offre Twitter. Il y a surtout aussi l’idée qu’on s’adresse à des supporters qui vont faire bloc derrière leur champion et qui vont ensuite évaluer et juger la manière dont doit être interprétée l’insulte ou la sortie de piste, de dire qu’il a eu raison de dire ça. En fait, il faut comprendre le contexte, mais il faut comprendre aussi que nous sommes effectivement dans une conversation permanente du politique et des leaders politiques également, qui vont commenter leur propre action et qui vont vouloir absolument gagner cette bataille de l’interprétation, parfois contre les analystes et les experts ou les journalistes qui ont d’habitude cette tendance à analyser, à juger et à jauger la performance du politique. Il y a donc une surenchère aujourd’hui dans la parole politique avec effectivement ce type de sorties et d’insultes. »

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