Contribution minimale pour RTBF.info. Article paru le 18 novembre 2020 et publié, ici, dans une version corrigée et augmentée.
Son museau a surgi ce mercredi matin, sur Twitter. Liloo a fait une apparition sur le fil de Georges-Louis Bouchez, son maître, président du MR. « Au boulot… en équipe !« , a rédigé celui-ci, suivi d’un émoji de chien, pour présenter son très petit animal de compagnie, installé sur ses genoux pendant qu’il potasse des notes.
En début d’après-midi, le post avait déjà recueilli 31 likes et trois retweets. Le réformateur a déjà « performé » davantage sur le réseau social, sur des sujets plus clivant que la présence d’une petite boule de poils dans un bureau de président de parti.
Sur Twitter, les commentaires sont plus moqueurs, préférant épingler la cravate sur l’épaule et la montre. La même publication sur Facebook, qui draine un autre public et d’autres commentaires, a récolté après deux heures plus de 800 « j’aime » et 120 commentaires, majoritairement élogieux. Comme par exemple : « Un homme qui aime les chiens doit forcément avoir un bon fond« , « Monsieur Bouchez, prenez soin de vous et de nos concitoyens… Votre petit compagnon doit se dire Ces humains ont beaucoup de travail…«
Mais pour Lilou, ce n’était pas une première. Le 3 novembre, il posait déjà à côté de son propriétaire dans l’attente des résultats de l’élection américaine.
Les animaux, alliés malgré eux des politiques ? Certainement. Celui qui est qualifié de « chien fou« par certaines figures de gauche a compris qu’il a besoin d’un chien pour adoucir son image. « Je l’ai depuis quelques années« , fait-il remarquer toutefois.
Il n’est pas le seul. Sammy Mahdi (CD&V), secrétaire d’Etat à la Migration ne sort jamais sans Pamuk. En Flandre, Pamuk est certainement plus célèbre que son maître, depuis qu’il l’a présenté en 2017 lors du jeu télévisé le plus populaire du Nord du pays, « Slimste mens ter wereld ».
Sur son compte instagram, Pamuk est une figure centrale dans sa vie personnelle et sa vie publique. Il y a quelques jours, dans Le Soir, dans le cadre d’une interview de sa politique d’asile, il semblait davantage préoccuper, selon l’auteure de l’interview, par l’état de santé de son chien qui venait de se faire opérer que par ses dossiers.
Qui d’autre s’affiche avec son compagnon à quatre pattes ? Il faut le reconnaître, il n’y a pas grand monde. Céline Frémault, députée et ancienne ministre bruxelloise cdH a posté quelques photos de son chien, Hercule, un carlin. Sa bouille a même été reproduite sur une affiche de type électorale.
La députée bruxelloise Margaux De Ré (Ecolo), très active sur les réseaux sociaux, a permis aux internautes de faire la connaissance de son chat.
Le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) s’est déjà affiché avec le chien de ses parents, dans le cadre d’une interview pour Het Nieuwsblad. Un one-shot. Toutefois, en octobre 2018, il publiait sur Facebook une photo d’un chien perdu dont il était parvenu à retrouver le propriétaire.
La communication politique européenne s’inspire de plus en plus de la communication politique anglo-saxonne. Vie privée et vie publique sont étroitement liées. L’animal de compagnie ne relève plus de la sphère familiale. Il fait partie du paysage médiatique. Aux Etats-Unis, le président américain se doit d’accueillir un compagnon à quatre pattes à la Maison Blanche.
Rex pour Ronald Reagan, Millie pour Georges Bush père, le chat Socks et le chien Buddy pour Bill Clinton, le chien Barney et le chat India pour Georges Bush fils, le chien d’eau portugais Bo pour les Obama… Transgressif, Donald Trump, le président sortant, n’en a pas eu. Un handicap dans sa non-réélection ? Evidemment que non. C’est sa manière de s’affranchir des codes. Une stratégie délibérée.
En France, cette fois, on ne compte plus les coupures de presse parlant de Nemo, le chien du couple présidentiel.
Engranger un capital sympathie, casser une image un peu trop dure
Dévoiler une partie de son intimité, en affichant par exemple des photos de son chien, son chat ou sa perruche, « c’est en partie lié aux codes en vigueur sur les plateformes socionumériques telles qu’Instagram ou TikTok. Il s’agit de partager un moment privé dans le but de présenter et de capitaliser sur une autre facette de sa personnalité, afin de complexifier son image, investir sa composante affective, ancrer son personnage dans un vécu plus humain. Tout cela s’inscrit bien évidemment dans une démarche mûrement réfléchie, même si celle-ci se range de plus en plus, de façon inconsciente, dans les réflexes communicationnels d’élus devenus influenceurs en ligne parmi d’autres « , analyse Nicolas Baygert, professeur de communication à l’IHECS et Sciences Po Paris. « De la part du politique, il y aura certes une réflexion sur ce qu’on est prêt à dévoiler dans ce travail de scénographie du quotidien où l’on privilégiera un aspect ou un autre de sa bulle privée. Theo Francken a quant à lui choisi de poster des photos de ses enfants, chez d’autres ce seront les animaux de compagnie qui seront mis en avant.«
Objectif, selon le spécialiste, « engranger du capital sympathie, casser une image tantôt trop dure, tantôt trop technocratique dans un but d’attendrir l’audience des followers« .
Capter un nouveau public
Nicolas Baygert pointe un autre phénomène, celui de l’absence de hiérarchie sur le type de contenus postés sur les réseaux. « À la suite de posts sérieux – extraits d’interviews, infographies politiques – on découvrira des posts plus intimes dénués de message« , indique le professeur citant notamment le président du sp.a Conner Rousseau, un « digital native » à l’instar de Georges-Louis Bouchez.
« C’est un shift, un glissement vers les logiques de performances ludiques et communautaires propres à Instagram, à TikTok. On adopter une communication adaptée à ces plateformes dans l’espoir de capter de nouveaux publics. Avec le risque toutefois, que cette communication tantôt humoristique, tantôt essentiellement empathique déteigne sur le reste de la communication politique, celle réservée à l’argumentaire et à la persuasion.«
Les spécialistes appellent cette cela l' »extimité » ou « exhibitionnisme stratégique« , destiné « à créer un lien affectif avec une audience ; ses followers qui doit déboucher sur des likes et une validation de la dimension plus humaine d’une personnalité politique« .
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