Entretien pour le JDD, paru le 15 décembre 2021. Propos recueillis par Romane Rosset.
Suivis par des milliers d’abonnés, ils sont des centaines d’influenceurs, engagés politiquement ou non, à décrypter l’actualité pour un public très jeune.
Loin des partis, la campagne présidentielle se joue aussi sur Internet. « Les plateformes en ligne constituent aujourd’hui un nouvel espace d’engagement civique, de socialisation politique et d’éducation, plus particulièrement chez les adolescents et les jeunes adultes », analyse Nicolas Baygert, docteur en sciences de l’information. De YouTube à Twitch en passant par TikTok et Instagram, les influenceurs investissent le terrain des idées sur les réseaux sociaux. Sur la forme, ces « leaders d’opinion » organisent des talk-shows avec leur communauté et commentent l’actualité. « Leurs vidéos se sont fondues dans la LOL culture, explique Nicolas Baygert. Elles sont ponctuées de séquences humoristiques, avec notamment l’utilisation de mèmes. La politique devient une forme de divertissement. »
Usul à gauche, Raptor à l’extrême droite
Très présentes sur les réseaux, les jeunes générations sont plus exposées aux messages qui y sont véhiculés. « Sur YouTube, la moyenne d’âge se situe entre 20 et 40 ans, alors que sur Twitch on est autour de 25 ans, détaille Romain Fargier, doctorant chercheur au Cepel (Centre d’études politiques et sociales) de Montpellier. C’est encore plus jeune sur TikTok, où les utilisateurs ont entre 14 et 20 ans. »
Ces influenceurs auront-ils le pouvoir de ramener les jeunes aux urnes? Au second tour de la présidentielle de 2017, 34% des 18-24 ans (et 32% des 25-34 ans) s’étaient abstenus, contre 17% des retraités, selon un sondage Ipsos-Sopra Steria.
Il n’y a pas d’influenceurs centristes, socialistes ou macronistes
Dans cet écosystème, toutes les sensibilités politiques ne sont pas également représentées. « Il n’y a pas d’influenceurs centristes, socialistes ou macronistes, par exemple, analyse Romain Fargier. C’est très polarisé entre deux grandes familles : une gauche radicale et une droite radicale. » À gauche, le vidéaste Usul, dont les contenus sont aujourd’hui diffusés sur la chaîne YouTube de Mediapart, a été dès 2010 le pygmalion de nombreux influenceurs.
Lire aussi – SONDAGE. Présidentielle 2022 : Macron, Le Pen et Zemmour en tête des intentions de vote des 18-30 ans
À l’extrême droite, c’est l’activiste antisémite multicondamné Alain Soral qui a fait figure de pionnier. Dans son sillage, des influenceurs nationalistes mènent, depuis, « un combat métapolitique en ligne dont l’objectif est de développer un imaginaire alternatif capable de rivaliser avec le ‘politiquement correct’véhiculé par les médias mainstream », souligne Nicolas Baygert. Parmi eux : le Raptor (721.000 abonnés), Baptiste Marchais (234.000) ou encore Papacito (162.000), connu pour sa vidéo où il tirait sur un mannequin symbolisant un « gauchiste ».
D’autres veulent réconcilier les jeunes et la politique
À mille lieues de ces « idéologues », d’autres influenceurs ambitionnent de réconcilier les jeunes et la politique. C’est le cas de Matteo Ishak-Boushaki, alias @lapolitiquedemat sur TikTok. Fort de ses 34.100 abonnés, ce lycéen de 17 ans profite de sa notoriété pour toucher les jeunes. « J’aimerais leur montrer que la politique pourrait apporter des solutions concrètes aux problèmes qu’ils dénoncent dans la rue », explique-t‑il.
S’il plaide pour l’union de la gauche, Matteo Ishak-Boushaki ne soutiendra aucun candidat pour 2022. « Sauf si Christiane Taubira se présente, bien sûr », plaisante-t‑il. Lui souhaite produire des contenus spécifiquement liés à la présidentielle. « J’ai contacté des candidats pour les inviter dans mes vidéos, dit ce jeune tiktokeur. J’aimerais les présenter eux, ainsi que leurs programmes. »
Les prétendants à l’Élysée n’y sont pas indifférents : ces communautés virtuelles constituent un vivier de potentiels électeurs. D’où l’intérêt d’apparaître dans leurs vidéos. « Les politiques veulent toucher une génération plus jeune, une communauté qui n’a pas encore été influencée par la parole publique, explique Nicolas Baygert. Twitch, par exemple, rassemble un public qui n’est pas branché sur les canaux traditionnels de la communication politique. » Encore faut-il que les candidats réussissent à adopter les codes de ces plateformes. Gare aux faux pas…
Votre commentaire