Entretien pour La Libre Belgique et La Dernière Heure, publié le 22 février 2022. Propos recueillis par Simon Legros.
Voici un peu plus d’une semaine, Valérie Pécresse, la candidate de droite à l’élection présidentielle en France, recevait une salve de critiques après un premier meeting pour le moins compliqué. Tant sur le fond que sur la forme, de nombreuses voix se sont élevées, y compris dans les rangs des Républicains, pour décrier un véritable « naufrage ». Outre les conséquences que cet échec pourrait avoir sur la candidate en vue des élections, se pose également la question du rôle joué à l’heure actuelle par les meetings dans une campagne. Contacté par nos soins, Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’IHECS et Science Po Paris, nous livre son éclairage. Il nous dévoile également quels sont les candidats qui l’ont agréablement surpris – ou déçu – au niveau de leur communication.
Si les réseaux sociaux sont actuellement indispensables au niveau de la communication (y compris politique), les meetings conservent un rôle important. « Les meetings n’ont certainement pas moins d’influence qu’auparavant », assure le professeur Baygert. « Ils constituent des événements dans la campagne. L’intérêt principal du meeting est justement lié à sa reprise médiatique. En France, ils sont diffusés en partie, parfois en intégralité, sur les chaînes d’info. Le rôle classique du meeting est de galvaniser les partisans d’un candidat. Donner l’impression d’une forte mobilisation autour de lui. C’est toujours une démonstration de force, une guerre d’images également. Tout cela se répercutera ensuite dans les médias et auprès du public. »
Le spécialiste, qui rappelle les montants colossaux dépensés pour organiser ces meetings, note des évolutions ces dernières années. « On assiste à un contrôle de plus en plus poussé des atmosphères. Comme meeting un peu précurseur en la matière, on peut prendre l’exemple de celui de Macron en 2017. À l’époque, ses supporters avaient reçu diverses instructions, via une application: quand applaudir, quels slogans brandir… Tout cela dans l’objectif d’atteindre une ambiance optimale. »
Nicolas Baygert indique également l’importance du fond et du choix d’une thématique porteuse, d’un message principal: « Autour de cela, le candidat pourra user d’éléments de langage dont les médias sont également friands. » Quels candidats se détachent au niveau de la communication?
Comme préciser ci-dessus, Valérie Pécresse est passée à côté de son sujet lors de son premier meeting. Nicolas Baygert parle d’un « rendez-vous manqué ». « Ce discours a été une catastrophe tant au niveau du fond que de la forme. Elle-même a reconnu ne pas être une experte au niveau de l’éloquence mais on peut alors se demander pourquoi son équipe n’a pas mis une autre stratégie en place, tel qu’un format plus intimiste sur scène où elle aurait été plus à l’aise. En communication politique, il ne faut jamais perdre de vue la dimension non-verbale (le vocal, l’occupation de l’espace). Valérie Pécresse et les gens de son équipe ont certainement surrestimé l’importance du texte. A partir du moment où l’argumentaire semble convaincant aux yeux de ses auteurs, ceux-ci auront tendance
à négliger l’intonation et l’incarnation. C’est omettre q’un bon texte, ce n’est peut-être que 20% du chemin parcouru. D’ailleurs, des discours parfois moins musclés sur le fond, moins riches en « punchlines » seront en mesure de mobiliser et de passionner si le débit est maîtrisé et s’ils sont habités par l’orateur ; preuve de sincérité. »
Et quand on lui demande si cette performance de Valérie Pécresse aura des répercussions sur la suite de l’élection, le spécialiste signale qu’il n’est pas devin mais répond: « On dispose de sondages quasi tous les jours et ceux publiés à la suite de ce discours sont sans appel, puisque Pécresse a perdu des intentions de vote. Cela dit, elle a depuis tenu un deuxième meeting dans lequel elle est apparue plus à l’aise. » IPM
Quels candidats à l’élection se démarquent en terme de communication? Nicolas Baygert en pointe deux. « Eric Zemmour a surpris tout le monde lors de son premier meeting à Villepinte en décembre. Parce qu’on connaissait l’essayiste, mais là on a découvert le candidat. Et s’il n’avait pas à la base les compétences au niveau de l’éloquence ou de la rhétorique, on voit qu’il a beaucoup travaillé ces aspects-là. Il profite aussi de l’effet de nouveauté et la nouveauté attire. Ses meetings puisent dans le registre du spectaculaire, avec par exemple une ambiance sonore particulière. Il a plusieurs fois fait son entrée sur scène sur la musique « Immortal » du jeune compositeur norvégien Thomas Bergersen, une musique épique régulièrement utilisée au Puy-du-Fou. » Le premier meeting de campagne d’Éric Zemmour dimanche à Villepinte (Seine-Saint-Denis) a été marqué par des tensions et des violences, jusqu’à une blessure au poignet du candidat lui-même.
Un autre candidat marque les esprits selon le professeur de communication politique, il s’agit de Jean-Luc Mélenchon (leader de la France Insoumise). « C’est un candidat friand d’innovations. Il avait déjà marqué les esprits en 2017 en recourant à l’hologramme pour l’un de ses meetings. Cette année, l’homme fort de la France Insoumise va encore plus loin en proposant une expérience immersive et olfactive. Ce fut le cas lors de son meeting à Nantes en janvier, où une diffusion d’odeurs et une projection d’images spectaculaires à 360° avaient pour but de renforcer son discours. » Bref, un candidat qui se met à la mode dernier cri, comme en témoigne encore son talk-show lancé sur Twitch, plateforme de streaming et de VOD de jeu vidéo et d’e-sport mais aussi d’émissions.
Côté déception, Nicolas Baygert épingle Christiane Taubira: « Elle était connue pour ses prises de parole remarquées à l’Assemblée nationale lorsqu’elle était garde des Sceaux, lorsqu’elle défendait notamment le projet du mariage pour tous avec des citations littéraires et poétiques. Cela a marqué toute une génération et des gens qui la soutiennent encore aujourd’hui. Mais là visiblement, dans ses dernières prises de parole, elle ne paraissait pas préparée. On n’arrive pas très bien à voir où elle va. »[[ Type de media ne pouvant pas être visualisé ici ]] Une différence notable avec la Belgique
L’éloquence est-elle une condition pour viser haut en politique ? Selon le professeur Baygert, cette question est d’autant plus primordiale en France. « En Belgique, on a moins cette tradition – à quelques exceptions près qui ont ce talent, cette verve particulière à l’image de Raoul Hedebouw. Mais de manière générale, il y a toute une formation à la base, qui est sans doute plus poussée côté français, par rapport à cet amour du verbe. C’est une culture du débat démocratique et ce n’est pas pour rien que vous avez une dizaine d’émissions de débat toute la journée sur toutes les chaînes en France. On adore ça. En Belgique, ces grandes envolées lyriques, ces grands discours font moins recette car on préfère des profils plus pragmatiques, plus gestionnaires, plus sérieux. On s’attend moins à des bêtes de scène comme c’est le cas en France. »
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