Entretien pour 7sur7.be paru le 20 avril 2022. Propos recueillis par Tom Coninx.
À quelques heures du débat de l’entre-deux-tours, nous avons demandé à Nicolas Baygert, spécialiste en communication politique, à quoi va ressembler la joute verbale qui doit opposer ce soir le président sortant Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen.
“C’est le match retour du débat de 2017″, analyse d’emblée notre interlocuteur, qui enseigne notamment à Sciences Po à Paris. “C’est un débat où les deux candidats doivent revoir leur stratégie puisque cette fois-ci Emmanuel Macron devra défendre son bilan et également faire rêver, créer de l’enthousiasme pour les cinq prochaines années. Marine Le Pen devra elle performer pour faire oublier son échec dans le débat de l’entre-deux-tours de 2017. L’idée, c’est donc de ne pas perdre des points d’entrée (la candidate RN sera la première à parler, NDLR), de préserver son image et d’apparaître rassurante, ce qui est un défi face à la stratégie de ‘rediabolisation’ que l’on observe depuis quelques jours en France.”
Certains sujets vont favoriser l’un ou l’autre candidat, poursuit-il. “On sait très bien que sur l’international, sur les questions liées au conflit en Ukraine, le président en exercice Emmanuel Macron est avantagé. Sur celles liées au pouvoir d’achat, sachant que Marine Le Pen a fait campagne sur cette thématique-là, c’est probablement une thématique qui la mettra davantage en valeur.” Les deux candidats devraient donc tenter d’amener son adversaire sur son propre terrain, selon lui. Même si “ce sera aussi le rôle des journalistes (Gilles Bouleau et Léa Salamé, NDLR) de scénariser cette discussion pour permettre à chacun de marquer des points”, poursuit-il.
L’écologie, les institutions et l’immigration
Outre le pouvoir d’achat et l’international, les thèmes abordés seront l’écologie et la question des institutions. “On sait que Marine Le Pen veut aller vers davantage de participation citoyenne, introduire le référendum, etc. (…) La question de l’immigration, de l’identité et de l’insécurité, des thèmes chers à l’extrême droite, devrait permettre à Marine Le Pen de peut-être marquer davantage de points que sur les questions économiques ou purement régaliennes, où là, on la sait un peu plus faible”, commente Nicolas Baygert.
“L’intention principale chez Marine Le Pen, c’est de ne pas s’effondrer en direct comme ce fut le cas il y a 5 ans”
“Emmanuel Macron devra veiller à ce qu’il ne paraisse pas trop arrogant”
La communication non verbale – les mimiques, les regards, etc. – jouera également un rôle important, analyse-t-il. A priori plus à l’aise que son adversaire dans l’exercice du face-à-face, Emmanuel Macron “devra préserver son capital image et veiller à ce qu’il ne paraisse pas trop arrogant, sachant qu’il maîtrise très bien ses dossiers. Mais il doit aussi travailler son empathie, ce qui n’est évidemment pas facile dans ce type de débat.”
Un “clone” de Macron comme sparring-partner
Pour se préparer, Marine Le Pen s’est “mise au vert” depuis lundi soir dans la maison de campagne en Normandie de l’un de ses conseillers, avec une petite équipe, précise Midi Libre. La candidate d’extrême droite a eu recours à un “sparring-partner” chargé de jouer Emmanuel Macron. Selon un cadre du RN, l’homme, un énarque en poste dans l’administration du même âge que le président et aux mêmes origines sociales, lui ressemblerait “même un peu”. Pour Nicolas Baygert, le choix de recourir à une espèce de “clone” du président sortant devrait permettre à la candidate de “gommer un certain nombre d’erreurs et de se préparer davantage en vue de la confrontation de ce soir”.
Difficile de faire un pronostic
Qui va gagner le débat de ce soir? Un pronostic est difficile à établir, selon notre interlocuteur. “L’intention principale chez Marine Le Pen, c’est de ne pas le perdre, ou de s’effondrer en direct comme ce fut le cas il y a 5 ans. Emmanuel Macron va surtout devoir aller chercher un électorat qui se méfie de lui. Quantité de gens vont probablement voter pour lui au second tour sans être véritablement convaincu par ce qu’il représente et encore moins par la politique qu’il a menée pendant cinq ans. Il va devoir donc séduire les Français et pas uniquement démolir son adversaire. Même si l’une des stratégies d’Emmanuel Macron, c’est de ‘décapsuler’ Marine Le Pen, un terme qui a été utilisé pendant cet entre-deux-tours, c’est-à-dire de lui faire perdre ses moyens et de la faire sortir de ses gonds. Si Marine Le Pen veut gagner, elle devra convaincre que c’est elle qui d’une certaine manière est la mieux placée pour réconcilier le pays, là où Emmanuel Macron a cinq années de mandat difficiles derrière lui pendant lesquelles il a beaucoup divisé les Français”, conclut Nicolas Baygert.
Votre commentaire