Interview pour RTBF Info, parue le 20 avril 2022. Propos recueillis par Daphné Van Ossel.
Cette fois, c’est promis, elle fera mieux. Après le désastre de 2017, Marine Le Pen arrivera plus préparée que jamais au débat de l’entre-deux tours de la présidentielle française, qui se tient ce mercredi 20 avril à 21 heures.
« Pour moi, un échec c’est parfois un coup de pied aux fesses« , a confié la candidate d’extrême droite sur TF1. Elle s’est donc mise au travail. Mais comment se prépare-t-on à un débat d’une telle envergure ?
Ses conseillers parlent d’un « sparring-partner« , sorte de clone d’Emmanuel Macron qui l’aide à s’entraîner, et de repos, aussi. Tandis que le président sortant, s’il se ménage moins, « se prépare sérieusement parce que c’est un débat important », a précisé Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement et soutien d’Emmanuel Macron sur CNews.
Sparring-partner
Sur le fond, comme sur la forme, un tel débat ne s’improvise évidemment pas. Pour Ermeline Gosselin, cofondatrice d’une société de conseil en stratégie et communication, et ancienne porte-parole du PS, il est indispensable de s’entraîner, en simulant les conditions réelles : « Je ne m’imagine pas une seconde qu’on puisse préparer un débat sans avoir un sparring-partner comme l’indique l’équipe de Marine Le Pen, quelqu’un qui joue le rôle de son adversaire, qui connaît les deux programmes sur le bout des doigts. »
Sur le fond, les candidats doivent choisir les messages prioritaires à faire passer : « Il ne faut pas vouloir tout dire, il faut choisir ceux qui vont provoquer une émotion auprès du public identifié comme prioritaire, en l’occurrence, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ». Et Marine Le Pen devra, cette fois-ci, maîtriser ses dossiers.
Travail de fourmi
Il s’agit aussi de préparer les attaques, et les contre-attaques. Les équipes préparent cela des mois à l’avance, elles répertorient, thématique par thématique, toutes les attaques que leur candidat(e) pourrait émettre à l’encontre de son adversaire et toutes les attaques dont il (ou elle) pourrait faire l’objet. « C’est vraiment un travail de fourmi, précise Ermeline Gosselin, il faut éplucher toutes les déclarations sur le terrain, dans les médias etc. Ensuite, il faut à nouveau faire un travail de sélection, en fonction de chaque thématique, du temps imparti, et du public prioritaire. »
« Il y a des tactiques qui ont été théorisées depuis des décennies en communication politique, complète Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’IHECS et à Sciences Po Paris. L’idée d’attaquer les points forts de l’adversaire, d’accuser l’adversaire de ce dont il va vous accuser, ce sont des choses qui ont notamment été théorisées par Karl Rove, ancien conseiller de George W. Bush. »
Sérénité
Mais Marine Le Pen devrait se montrer moins agressive que lors du débat de 2017. Elle a notamment déclaré, lors d’un déplacement dans le Calvados : « Ce que je souhaite, c’est que le débat se déroule sereinement. »
« Elle veut éviter les dérapages de 2017 mais, en vérité, on ne connaît pas bien sa stratégie, concède Nicolas Baygert. Elle pourrait feindre de rester en retrait, avant d’attaquer finalement Emmanuel Macron. Ce qui est clair c’est qu’elle doit marquer les esprits, vu que c’est elle est en retard dans les sondages. Pour marquer des points, elle ne peut pas jouer la défense, elle doit aller à l’offensive. »
Punchlines
Elle préparera sûrement, comme tout candidat, des punchlines, des formules qui marquent.
« Vous avez tendance à reprendre le refrain d’il y a sept ans, l’homme du passé. Il est quand même ennuyeux que vous soyez, depuis, devenu l’homme du passif », dit par exemple François Mitterrand à Valéry Giscard D’Estaing en 1981.
« C’est important d’avoir des formules qui marquent mais il est tout aussi important de faire en sorte que cela semble naturel, sincère, fait remarquer Ermeline Gosselin, l’ancienne porte-parole du PS. Il ne faut pas donner l’impression d’un coup de com, comme ce fut le cas avec l’anaphore de François Hollande. Si c’est trop préparé, les téléspectateurs ont l’impression d’être manipulés. »
Non verbal
Le non verbal est aussi important que les éléments de langage. Et il l’est d’autant plus depuis que, depuis 2017, les « plans d’écoute » sont autorisés. Ceux-ci montrent la personne qui ne parle pas, sa réaction pendant que son adversaire s’exprime.
« En s’entraînant, on peut gommer des erreurs, corriger une position, un geste qui paraît trop agressif ou trop défensif, explique Nicolas Baygert. Cela dit, Emmanuel Macron a un avantage à ce niveau-là. C’est l’expert du ‘faux off’, c’est-à-dire être filmé à son insu tout en sachant qu’on est filmé à son insu, donc en se contrôlant quand même. Il a l’habitude de se contrôler à tout instant, même dans ses dérapages, ses petites phrases. Il y a une forme de spontanéité travaillée, mise en scène. Il a donc l’habitude d’avoir un regard sur ses performances en temps réel. »
Marine Le Pen, par contre, ajoute le professeur de communication politique, a un côté plus spontané, on voit davantage si elle est à l’aise ou pas.
Gorge sèche
Le président sortant devra se montrer moins hautain, moins arrogant. La candidate du Rassemblement national devra paraître sereine, compétente, présidentiable « en regardant son adversaire droit dans les yeux, en souriant de manière franche et sincère », résume Ermeline Gosselin.
On peut aussi travailler la voix, précise-t-elle : « Nous faisons régulièrement appel à des acteurs, qui connaissent différentes techniques pour poser sa voix, avoir une tonalité plus basse, continuer à parler tout en ayant la gorge sèche etc. »
Un combat physique
Enfin, un débat, c’est un match. Cela se prépare aussi physiquement. « Juste avant le débat, je conseille toujours de se reposer ou de faire du sport », explique Ermeline Gosselin. « On pourrait conseiller à Emmanuel Macron de prendre un peu de repos. A Marseille, ce week-end (16 avril), il avait l’air fatigué. Ça paraît anecdotique mais ça peut influencer sa performance. » Marine Le Pen, elle, a tiré les leçons de 2017 (elle dit être arrivée trop fatiguée au débat) : elle s’est ménagé une pause.
Le débat durera 2h30, un marathon. Avec leurs équipes, les athlètes ont tout négocié : les arbitres de la rencontre (Léa Salamé et Gilles Bouleau), la température du plateau, l’éclairage, la longueur de la table, les thématiques. L’ordre de passage, le placement des candidats ainsi que l’ordre des thèmes abordés ont été tirés au sort mardi 19 juillet. Verdict : la candidate du Rassemblement national obtient la pole position, elle sera la première à prendre la parole. Et le premier sujet sera le pouvoir d’achat, son thème de prédilection pendant cette campagne (l’immigration, les retraites, l’international, la jeunsse ou encore l’environnement seront aussi traités). Emmanuel Macron sera placé à gauche, elle à droite, à l’inverse de 2017. On verra, ce mercredi soir, qui remportera la médaille, cette fois-ci.
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