Sanna Marin dans la tourmente : comment une simple fête entre amis a-t-elle pris de telles proportions ?

Interview dans « Matin Première » (La Première/RTBF) reprise en partie dans cet article du site RTBF.info. Propos recueillis par V. de Thier, sur base d’une interview réalisée par Marie Vancutsem.

La Première ministre finlandaise, Sanna Marin, est apparue dans des vidéos la montrant participer à une fête aux côtés d’autres personnalités finlandaises. S’en sont suivies de nombreuses réactions outrées sur les réseaux sociaux et une demande de test sanguins pour détecter une éventuelle prise de drogues.

Pourquoi de telles réactions ? En quoi la Première ministre est-elle une figure clivante ? Le grand public a-t-il un droit de regard sur la vie privée de ses élus ? Décryptage avec Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’ULB et l’IHECS.

Nouveau style communicationnel

Nicolas Baygert resitue d’abord le personnage. Pour rappel, Sanna Marin est la plus jeune cheffe de gouvernement en exercice au monde.

« C’est clair qu’on a affaire à un nouveau style de personnalité politique, qui incarne aujourd’hui les affaires au plus haut sommet de l’État. On le voit en Finlande, on le voit dans d’autres pays scandinaves et on le voit également chez nous. Il y a un style communicationnel qui tranche, qui change et qui, évidemment, ne reprend pas exactement les mêmes codes des chefs d’État dont on a l’habitude« , recontextualise-t-il.

« Dignité de la fonction »

Ce qui amène le spécialiste à la question de la « dignité de la fonction » – qui est interprétée de façon différente selon les cultures et en fonction des générations – dans un contexte particulièrement sensible et délicat actuellement pour la Finlande.

« Sanna Marin mène son pays vers une nouvelle voie, c’est-à-dire qu’elle prévoit de renoncer à une neutralité internationale au sens politique et d’entrer dans l’OTAN, ce qui explique aussi pourquoi il y a à la fois une levée de boucliers du côté de l’opposition finlandaise, c’est tout à fait logique, mais également dans les rangs de sa majorité, où on a effectivement demandé, par mesure de précaution et pour préserver sa réputation, de passer ce test qui paraît totalement disproportionné. »

Une question de sexisme ?

Mais cette affaire ne cacherait-elle pas également une question de sexisme de la part d’une certaine frange politique et d’une partie de la population ? Depuis ce week-end, un mouvement se met en place. On peut voir des femmes finlandaises ou non, politiques ou non, qui se filment en train de danser et postent leurs vidéos sur les réseaux sociaux en soutien à la Première ministre.

C’est quelque chose qui touche plusieurs femmes politiques, on a vu d’autres femmes en pâtir.

Nicolas Baygert estime que le genre de la personnalité politique peut en effet jouer. « Ici, très clairement, la volonté de créer ce sentiment d’indignation, c’est finalement de dire que c’est un procès en incompétence, c’est de dire que Sanna Marin n’est pas totalement au niveau. Et c’est quelque chose qui touche plusieurs femmes politiques, on a vu d’autres femmes en pâtir.« 

Mais au-delà d’une question de genre ou d’âge, le spécialiste pointe davantage un outil de communication politique utilisé par l’opposition. « Les attaques sont aussi une volonté de dénoncer une forme de lâcher-prise de la part de Sanna Marin, de dire que dans un contexte où le pays peut se voir confronté à une crise de sécurité, elle n’est peut-être pas au rendez-vous. »

La frontière de plus en plus étroite entre vie publique et vie privée

Au-delà de ce cas spécifique – qui provient d’une fuite sur les réseaux sociaux et non d’une volonté de la mandataire – cette affaire rappelle la frontière de plus en plus ténue entre vie privée et vie publique avec laquelle les politiques doivent composer.

« Aujourd’hui on ne fait plus vraiment la différence entre une communication ou une information de type prise de parole gouvernementale ou un extrait d’un passage média, ici par exemple, et une vidéo ludique avec des animaux ou dans un cadre plus privé. Donc, tout a tendance à se mélanger, analyse Nicolas Baygert. Pourquoi ? Parce que c’est cette fameuse recherche du capital sympathie (ndlr : de la part de la personnalité politique). C’est d’une certaine manière la volonté de faire réagir sa communauté, et c’est là que le politique intervient finalement comme un community manager : il s’adresse à sa communauté, à ses followers pour les faire réagir, pour observer sa popularité en temps réel. On n’a plus besoin des sondages d’opinion, on voit très bien si quelque chose plaît ou ne plaît pas. Et donc, on va alimenter son audience, sa communauté, dans un processus de dévoilement.« 

Reste à voir jusqu’où le politique est prêt à placer ce curseur et jusqu’où le grand public et les opposants sont prêts à l’accepter.

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