Interview pour L’Echo, paru le 30 mars 2023. Propos recueillis par Sophie Leroy.
La Belgique est au premier rang européen des dépenses en publicité politique sur les réseaux sociaux. Meta réfléchit à une interdiction de telles publicités sur Facebook et Instagram.
Meta envisage de mettre un terme aux publicités politiques ciblées en Europe sur ses réseaux sociaux, selon le Financial Times. Ses dirigeants craignent que Facebook et Instagram ne soient pas en mesure de se conformer à la réglementation de l’Union européenne (UE) ciblant les campagnes en ligne.
En février, l’UE a adopté des règles plus strictes en matière de publicité politique, afin de lutter contre la désinformation pendant les élections. Les géants américains de la technologie devraient fournir davantage de données sur leurs publicités politiques ciblées, sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 4% de leur chiffre d’affaires mondial. Meta redoute que la définition des publicités politiques selon l’UE soit très large. Il serait alors plus simple de refuser, d’office, toute campagne politique.
La Belgique championne d’Europe
Si la décision était prise, elle ne conviendrait guère à la plupart des partis du royaume. « La Belgique est championne d’Europe des dépenses en publicités politiques sur les réseaux sociaux », glisse Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’ULB, à l’Ihecs et à Sciences Po (Paris).
En 2022, les partis ont dépensé un montant record de 5 millions d’euros dans ce créneau… En tête, la N-VA, avec plus d’un million d’euros par an. Suivent le Vlaams Belang, puis le PTB, selon AdLens, le collectif qui veut faire la transparence autour des publicités politiques sur les réseaux sociaux. Facebook et Google sont les canaux privilégiés.
Du côté des personnalités, AdLens place Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang, comme celui qui dépense le plus sur Facebook et Instagram: 363.623 euros l’an dernier. Il est suivi de Bart De Wever (N-VA) et Conner Rousseau (Vooruit). Côté francophone, Raoul Hedebouw (PTB) et Georges-Louis Bouchez se démarquent, assez loin devant le président des Engagés, Maxime Prévot.
Si Meta actait l’interdiction, le monde politique devrait se tourner vers d’autres médias sociaux (YouTube, Google, Snapchat…) , ou bien en revenir à des campagnes plus traditionnelles. « Les autres plateformes digitales n’affichent pas la même transparence que Meta, qui est déjà en ordre avec les grandes lignes de la régulation », avertit un expert d’AdLens.
Les partis très actifs en ligne sont surtout ceux qui ont des difficultés à être représentés dans les médias traditionnels. Il y a le cordon sanitaire au sud du pays et, plus largement, une censure des médias habituels face à des idées extrémistes. « Pour ces partis, le potentiel des réseaux sociaux est grand », explique Nicolas Baygert. « Ils peuvent y créer une dynamique, développer le bouche-à-oreille et contourner les médias traditionnels. »
Créer une audience
En vue des prochaines élections de 2024, les partis doivent tenter de trouver une audience parmi les primo-votants et d’autres groupes cibles », détaille Nicolas Baygert. Une interdiction de pub chez Meta aurait des effets différents selon les profils. « L’impact ne serait peut-être pas très important au niveau de Facebook, où on constate un vieillissement des abonnés. Par contre, Instagram permet à des personnalités, comme Conner Rousseau, de s’attirer un capital sympathie important. Les Engagés y ont aussi une communication très assertive. »
Il faudrait voir sur quoi porterait une telle interdiction: sur du contenu payant uniquement ou, moins probable, sur des posts politiques au sens large? « Certains sont devenus de vrais community managers, avec une audience fidélisée. Ils n’ont pas besoin de pub payante… Néanmoins, dans le cadre de la campagne électorale, ils devront aussi toucher une nouvelle audience« , avertit le professeur de communication politique.
Nouveaux espaces
Le secteur subit d’importants changements. TikTok ne peut plus être installé sur les appareils des agents de l’État et des entités fédérées.
On assiste en outre à une fragmentation de l’espace politique en ligne, avec l’émergence de plateformes alternatives. Donald Trump avait lancé son propre réseau lorsqu’il avait été banni de Twitter. Mais le Vlaams Belang propose aussi son application, qui lui permet notamment de récolter des données.
« Le Vlaams Belang estime sans doute qu’il n’est pas improbable que Facebook supprime les publicités politiques avant les élections. C’est donc une course contre la montre pour tenter de fédérer un maximum de sympathisants », éclaire Nicolas Baygert. « Vu le flou actuel, les partis ont besoin de créer des communautés avec une audience plus ou moins acquise qui permettra de contourner une éventuelle interdiction de publicité. »
Le résumé
- Meta réfléchit à une interdiction des publicités politiques ciblées sur Facebook et Instagram, suite à un durcissement des règles en Europe.
- Les partis politiques belges, surtout en Flandre, sont très actifs sur les réseaux sociaux.
- La N-VA, le Vlaams Belang et le PTB sont ceux qui dépensent le plus en publicités en ligne.
- Ils perdraient donc un canal important juste avant la campagne électorale de 2024.
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