«TikTok est un champ de bataille, y compris politique»

Interview publiée dans Le Soir, le 20 mars 2023. Propos recueillis par Maxime Biermé.

ourquoi TikTok est-il soudainement devenu dangereux aux yeux des politiques ? 

On peut parler d’un effet domino. Le fait que les institutions de l’Union européenne avancent sur la question, en plus de l’Inde, des États-Unis, du Canada ou encore du Danemark, a forcé le gouvernement belge à se rendre à l’évidence. À savoir prendre un principe de précaution face à l’outil de soft-power qu’est TikTok. Rappelons d’ailleurs que la Chine n’a pas hésité, depuis des années, à bloquer des dizaines d’applications occidentales, dont Twitter. 

Mais il n’y a pas eu de « gros scandale »…

TikTok a toujours nié les allégations portées contre lui mais ne les a pas forcément réfutées. Par exemple, ils disent ne pas avoir la capacité de localiser leurs utilisateurs mais ces mêmes utilisateurs doivent consentir à donner leur localisation lorsqu’ils acceptent les conditions d’utilisation… Il y a trop de zones d’ombre. Le fait que les gouvernements emboîtent le pas à la décision européenne démontre le malaise croissant que suscite TikTok. Outre le contexte géopolitique, rappelons que l’on est à un an des élections européennes. On sait que la campagne va se dérouler en partie sur les réseaux d’où une certaine peur institutionnelle face à d’éventuelles failles de sécurité. On ne peut pas se permettre de rentrer dans une telle campagne en investissant une plateforme qui n’est pas totalement maîtrisée et sécurisée. 

Le Premier nous dit de nous méfier de TikTok mais la ministre de la Défense l’utilise…

Il semble en effet ne pas y avoir de volonté d’attaquer frontalement la plateforme et d’en faire un problème de société. Sans doute ne veut-on pas se priver d’un canal de communication destiné à booster son image de marque et qui plus est privilégié par de jeunes générations d’utilisateurs qui se servent de TikTok comme principale source d’information en ce compris politique. 

C’est hypocrite ?

C’est délicat, notamment en raison du principe de précaution qui devrait l’emporter. En corollaire à l’interdiction de TikTok au sein des gouvernements, on pourrait très bien imaginer une campagne de sensibilisation lancée par les pouvoirs publics insistant sur les dangers de la plateforme en matière de protection des données. 

TikTok n’est plus le réseau des petites filles qui dansent ?

On a désormais des politiques qui dansent… Plus sérieusement, c’est vrai qu’on constate une prime à l’autodérision et à des comportements adulescents. Le public visé est certes jeune mais il ne faut pas sous-estimer le fait qu’il s’agit d’un espace stratégique de socialisation politique. TikTok est donc peu à peu devenu un champ de bataille idéologique. D’autant plus qu’il permet d’exister auprès d’une tranche de la population qui n’est pas touchée par d’autres médias comme la télévision ou la presse écrite. On a donc pu observer l’avènement des Tiktokeurs politiques, des influenceurs politiques alimentant leur page comme des community managers. À noter que sur TikTok, on ne peut pas se contenter de faire circuler et commenter du contenu, les utilisateurs deviennent le contenu et doivent se mettre en spectacle à travers une performance ludique pour engranger du capital sympathie et grossir le nombre d’abonnés. Comme sur d’autres réseaux, la communication politique se trouve balisée par des gabarits pensés par les architectes de ces plateformes, qui promeuvent une socialité particulière. 

Elio Di Rupo (PS) et Conner Rousseau (Vooruit) sont les plus populaires. Quel est leur secret ?

Ils ont vite compris et adopté les codes de ces réseaux. Ils postent régulièrement. Di Rupo utilise TikTok comme un outil de séduction avec des fonds sonores tendances, des ralentis, le tout au service d’une communication ultra-personnalisée Sans disposer de la dimension folklorique de la communication de Di Rupo, parfois reconnu par les plus jeunes du fait de ses productions TikTok, Rousseau est le prototype du politicien-influenceur. Il a pour lui l’avantage mimétique de la proximité générationnelle. Attention toutefois à ne pas brouiller une image de leader politique en construction. 

Les interventions plus politiques buzzent aussi…

Sur TikTok, Georges-Louis Bouchez semble avoir compris que ses coups de gueule au conseil communal de Mons fonctionnaient mieux que les derniers challenges tendances. Tout est question de montage et de tonalité. Une prise de parole habitée et cinglante peut mieux performer que lancer des livres dans une étagère.

Malgré les risques sécuritaires, TikTok sera un incontournable de la campagne 2024 ? 

Cela dépendra de l’effet domino et de son impact sur les acteurs politiques, surtout en période électorale. Un angle stratégique pourrait consister à communiquer de façon morale et engagée sur un refus de toute communication sur TikTok : un boycott qui pourrait s’avérer avantageux en termes d’image avec effet boule de neige à la clé. Mais pour certaines formations plus extrêmes, un retrait pourrait s’avérer moins payant, s’agissant d’une voie d’accès aux primo-votants qui permet de contourner un certain ostracisme médiatique, le tout dans un écosystème médiatique de plus en plus fragmenté.

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