La « Berlusconisation » débarque en Belgique

 

Interview donnée au journal Le Soir, le 21 avril 2011.

Bart De Wever en visite dans sa friterie favorite, Elio Di Rupo à la piscine de Mons en maillot de bain rouge… Les mises en scène récentes de plusieurs élus se multiplient. Un phénomène anodin ? Bien au contraire. Jusqu’à présent avare en apparitions originales, l’homme politique belge cultiverait aujourd’hui une image de marque. Un véritable ADN pour plaire à l’électeur. C’est en tout cas l’avis de Nicolas Baygert, chercheur en communication à l’UCL et au CELSA (Paris-IV-Sorbonne).

Elio Di Rupo et Bart De Wever sont actuellement les deux hommes politiques les plus populaires du pays. Deux styles bien ancrés qui contribuent à leur succès ?

Oui, c’est évident. D’un côté, on a Bart De Wever, un communicateur né, avec peu de déchets dans ses interventions. Son message s’adapte autant comme candidat au « Slimste mens » que comme informateur royal. Ses petites phrases, qui reviennent d’ailleurs assez souvent, peuvent être utilisées dans plusieurs médias et créer le buzz. A l’opposé, on retrouve un Elio Di Rupo qui veut s’afficher en forme au public. Il cherche plutôt à incarner l’homme d’Etat sur un mode consensuel et lisse, sans cette agressivité indispensable dans d’autres pays ou en Flandre, qui ne plaît pas vraiment sous les cieux wallons. Sa communication maîtrise aussi bien le registre féminin que masculin de la communication.

C’est-à-dire ?

Elio Di Rupo, dans sa communication, accapare les valeurs féminines comme l’écoute, le dialogue, le refus du passage en force. On retrouve donc une notion d’empathie, voire une dimension maternante, dans la marque Di Rupo. La communication sur le bien-être y est très importante. Quant à Bart De Wever, il a bien entendu tout l’opposé d’un ascète, là où Di Rupo suggère une silhouette éco-responsable, une économie de soi.

Cela revient à dire que les politiciens calculent minutieusement leur image…

Oui, il y a bien entendu un calcul. Leurs apparitions, leurs actes, tout cela n’est pas anodin. Si on prend pour exemple l’épisode de Di Rupo à la piscine de Mons ou la visite de Bart De Wever dans sa friterie de quartier, ce sont des événements fabriqués sur mesure pour être repris tels quels par les médias.

Même un Bart De Wever attacherait donc une importance à son style ?

Ce qui est capital, c’est d’avoir une adéquation entre ce qui est dit et montré. Je ne dis pas que De Wever accorde une importance capitale à son style. Mais en tout cas, il représente un peu l’achat-plaisir, le 4 × 4 polluant, la frite mayonnaise ou la gaufre chantilly contre le programme Weight Watchers. Le fait que Bart De Wever ait cette image d’épicurien, avec des goûts simples, entraîne bel et bien un message. On retrouve chez lui une espèce de bonhomie qui plaît et qui déculpabilise d’une certaine manière.

Vous parlez d’image de marque des politiques belges. Est-ce un phénomène récent ?

En Belgique, oui, c’est assez récent. Jusqu’à présent dans notre pays, la communication non verbale chez les politiques était assez effacée. On n’aimait pas trop les gens qui sortent du lot. Les politiques ressemblaient à Monsieur et Madame Tout-le-monde. Ceux dont l’apparence était trop léchée ou trop soignée ne plaisaient pas. C’est difficile de dater cela précisément, mais nous sommes maintenant à un tournant.

Il y a aujourd’hui une rupture, que j’appellerais un processus de « berlusconisation » du corps. Un look qui serait donc fixé à coup de botox s’il le faut, pour ne pas altérer là encore l’image de marque. Aujourd’hui, vous avez quand même un souci beaucoup plus important, de la part des politiques, pour leur apparence. C’est un peu une forme de programme. Et c’est un effort qui n’était pas fourni dans le passé.

Les looks restent pourtant très différents parmi les personnalités politiques belges…

Ce qui est important pour eux, c’est d’exister. Si on prend l’allégorie des marques, il y a évidemment toute une panoplie de styles. Prenez Elio Di Rupo, Joëlle Milquet ou encore Didier Reynders et Michel Daerden : ils représentent autant de produits uniques, bien implantés. Mais je pense aussi à quelqu’un comme Paul Magnette, ou au relooking complet d’un Charles Michel en quelques années. Il y a donc cette volonté constante de se créer un ADN stable et bien identifiable.

Faut-il alors s’attendre à des politiques encore plus typés dans les prochaines années ?

Je pense que oui. Il y aura certainement un phénomène de simplification à l’image des hommes politiques, avec des valeurs et une apparence clairement identifiables. On est dans une évolution du politique assez générale. Le phénomène va probablement toucher davantage d’élus dans les prochaines années.

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