La politique allemande se fait pirater

Analyse parue dans Slate.fr, le 20 septembre 2011, sur l’émergence du Parti pirate.

Fier de sa réputation de laboratoire urbain, Berlin peut également se vanter d’être à la pointe de nouvelles tendances politiques.

Après deux mandats comme maire-gouverneur à la tête d’une coalition inédite avec les postcommunistes de Die Linke, parti mélenchoniste d’outre-Rhin, le socialiste Klaus Wowereit réélu ce dimanche, devra dorénavant s’habituer à la présence d’une quinzaine de pirates au parlement de son Land. Les presque 9% glanés par le Parti pirate aux élections régionales ce 18 septembre ont fait entrer ces néo-flibustiers dans les hautes mers de la politique. Tous aux abris?

Né en 2006 en réaction à la loi du gouvernement suédois contre le partage de fichiers sur les réseaux peer-to-peer –une décision qui touchait principalement le site de partage Pirate Bay– le mouvement d’opposition numérique devenu formation politique reprit la symbolique pirate (Piratpartiet) pour rafler 7,1% des voix au scrutin européen de juin 2009 en Suède. Un résultat qui propulsera Christian Engström, un geek de 49 ans, au Parlement européen à Bruxelles.

Plus modestement, en France, avec la loi Hadopi en point de mire, le Parti pirate dépassait la barre des 2% lors de sa première participation à un scrutin (législative partielle dans les Yvelines en 2009).

Constitué en Internationale depuis avril 2010 et présent dans une quarantaine de pays, le Parti pirate regroupe aujourd’hui quantité de groupuscules franchisés sous un même étendard, respectant un programme similaire.

Le parti se comprend comme une «formation spontanée née de la volonté des citoyens de se réapproprier une vie politique dans laquelle ils ne se reconnaissent plus» et qui répond à trois principes fondamentaux:

  • la protection des droits (et données personnelles) des citoyens
  • la libération de la culture (et du Wi-Fi)
  • la conscience que les brevets et les monopoles sont nuisibles au fonctionnement de notre société

Avec ce dernier point, les pirates s’inscrivent dans le sillage d’une société marquée par une numérisation des contenus; une société où la notion de propriété intellectuelle est en voie d’être redéfinie. Néo-marxisme numérique? Cyber-communisme? Ni gauche ni droite: les pirates se perçoivent comme «dissidents hétérodoxes» marqués par le souhait de réaffirmer les principes démocratiques «régulièrement mis à mal, à mesure qu’évoluent la société et les technologies, dans un contexte toujours plus complexe et mondialisé». Des pirates bien-intentionnés donc.

D’une certaine manière, le Parti pirate, de par son éthique open source, se présente comme le pendant «société ouverte» du Tea Party américain, mouvement résolument réactionnaire, qui jusqu’ici symbolisait à lui seul cette opinion protestataire cyber-diffusée.

Les deux formations disposent pourtant de revendications communes: transparence du pouvoir, volonté d’inscrire l’activisme politique dans un projet participatif, e-gouvernance pour plus de démocratie directe, etc.

Transparence et immédiateté

Ces mouvements politiques émergeants partent du point de vue que le Web 2.0 permet aujourd’hui d’assurer une bidirectionnalité en politique: un feedback immédiat, voire une démocratie en temps réel.«La technologie, notamment, doit être utilisée dans le sens de la transparence et de l’immédiateté, et non pour ajouter à l’opacité et à la complexité», lit-on dans le programme du Parti pirate.

L’historien allemand Paul Nolte rappelle que «l’évolution vers une démocratie participative et protestataire constitue vraisemblablement l’évolution la plus importante de l’histoire de la démocratie de ces dernières décennies».

Une évolution contestataire et «bottom up» qui s’accompagne d’une compréhension des enjeux éthiques contemporains. Reste à voir si les pirates bénéficieront du même engouement générationnel que celui engrangé par les mouvements écologistes en Europe qui, depuis les années 1980, réussirent à capitaliser sur cette évolution, avant de troquer leur étiquette antisystème pour un destin de corsaire plus durable. Or, en Allemagne, plusieurs cadres écolos de premier rang en quête d’aventures ont justement démissionné pour rejoindre la piraterie.

Dorénavant distancés par les pirates sur les questions d’éthique numérique, les Verts seraient-ils en voie de ringardisation? Il y a un an, Carsten Meyer, porte-parole de Bündnis 90/Die Grünen pour le Land de Thuringe, avouait ne rien comprendre à la «Netzpolitik», la politique «de la Toile». Un aveu de taille, qui bien qu’isolé, ne pouvait cependant passer inaperçu auprès de l’électorat jeune. Quinze pour cent des électeurs de moins de 30 ans ont voté pour le Parti pirate ce 18 septembre à Berlin.

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