Interview (par téléphone) parue dans La Libre Belgique, le 1er avril 2014.
Est-ce encore important pour un parti politique d’afficher un slogan de campagne ?
C’est un moment très attendu par le monde politique puisque le slogan est là pour donner le ton et l’ambiance de la campagne. À travers lui, on va voir si la campagne se veut plus agressive ou plus apaisée ; si elle est marquée idéologiquement ou si elle est de nature à rassembler.
Certains ont l’impression que les slogans sont de plus en plus mous et inefficaces. Qu’en pensez-vous ?
Selon le concept de la diférence motrice,un slogan doit contenir un élément censé différencier une offre politique des autres. Ce concept est cependant très dificile à appliquer en Belgique. Chez nous, l’essentiel du temps politique est en effet consacré à apaiser les rapports entre les différentes formations politiques car nous sommes dans un système qui privilégie le compromis. En revanche, au moment de la campagne, on entre dans une phase de dramatisation pendant laquelle il faut absolument se démarquer en prouvant qu’on a une offre concurrentielle. Il faudrait donc réintroduire du conflit, de la distance dans les slogans.
Ce n’est pas ce qu’on constate ?
Les slogans restent assez vagues à quelques exceptions près. Je pense àcelui du FDF “Vrais et sincères”. Un slogan banal de prime abord,mais qui véhicule aussi des idées qui ne sont pas dites. Si les FDF sont vrais et sincères,c’est par opposition aux autres partis accusés de fourberie. Le parti se positionne donc dans un registre de la morale publique. Du côté d’Ecolo, on innove ces dernières années. C’est parfois humoristique ou, comme cette année, basé sur l’intégration du numéro de la liste.
Dans “Votez avec votre temps.Votez neuf”,neuf fait référence au numéro attribué à Ecolo et place aussi le parti comme étant celui de la modernité par opposition aux autres formations jugées ringardes. Si on creuse un peu, on constate donc qu’apparaissent des messages subliminaux dans certains slogans. Le slogan du PS, “Plus forts ensemble”, est typiquement dans le registre “di rupien” de la communication. Dans son discours, Elio Di Rupo a un leitmotiv visant à mettre en avant son bilan qui est d’avoir pacifié et stabilisé le pays.C’est un slogan très neutre qui tranche avec ce qu’on a connu par le passé lorsqu’il s’agissait de marquer clairement une identité à gauche. Quant au slogan du MR, “L’avenir ça se travaille”, il projette dans le futur tout en mettant en avant la valeur travail dans son interprétation libérale. Il se raccroche donc à une certaine doctrine.
Qu’est-ce qui explique cette mutation des slogans de campagne ?
On connaît aujourd’hui un grand mouvement euphémistique qui ne touche pas seulement la Belgique. On est moins dans les arguments et plus dans l’amaigrissement des discours politiques qui perdent leurs références idéologiques. On bascule vers un langage plus proche du discours marketing dans lequel les thèmes de campagne sont moins mis en avant.L’idée est plus de se différencier par des petites phrases qui vont faire mouche qu’avec des références à un fond doctrinaire plus classique.
Est-ce parce que l’électorat s’est modifié que les partis sont obligés de modifier leur slogan de la sorte ?
Il y a quelques décennies, on votait de manière traditionnelle, en étant fidèle à son engagement politique. C’est encore assez largement le cas en Belgique, mais il y a aussi une tendance au zapping électoral qui émerge depuis un certain temps. Les électeurs votent aujourd’hui beaucoup plus par nécessité conjoncturelle, qu’elle soit économique, sociale, personnelle ou liée à une cote de popularité. L’offre des formations politiques doit s’adapter. Ça pousse les partis à vouloir ratisser de plus en plus large et donc à ne pas s’auto-exclure d’une partie de l’électorat par des slogans perçus comme trop agressifs ou exclusifs. Le slogan doit être vu comme une titraille qu’on appose à toute la campagne. C’est la mise en récit de celle-ci. Ça a un côté très psychologique. Quant aux petites phrases, elles permettent à l’homme politique d’exister. La communication des hommes po- litiques n’existe que lorsque ces petites phrases sont reprises par les médias.On est clairement aujourd’hui dans une pensée slogan au sens politique.
Entretien : Charles Van Dievort