Qui veut casser le thermomètre ?

Opinion co-écrite avec Vincent Laborderie, politologue UCL (son blog), publiée le jeudi 25 février 2010 dans La Libre Belgique.

Casser le thermomètre, voilà l’intention que prêtait le sénateur Philippe Mahoux aux mandataires de l’Open-VLD proposant de supprimer l’obligation de vote (stemplicht), véritable oxymore démocratique, en Belgique. Accusation étrange lorsque l’on sait que, pour les opposants à cette obligation, celle-ci consiste justement à casser le thermomètre permettant de mesurer le mécontentement ou la désaffection de la population pour sa classe politique.

Ailleurs en Europe, les soirées électorales débutent toujours par un même chiffre : le taux d’abstention. On se félicite alors de la mobilisation citoyenne (parfois) ou l’on déplore le manque d’intérêt pour la chose publique (le plus souvent). Que les réponses apportées à cette « crise de la représentation » soient pertinentes ou non, avoir connaissance d’un problème est de toute évidence, une condition essentielle à sa résolution.

En Belgique, plusieurs études ont tenté de mesurer l’abstention virtuelle en interrogeant les sondés sur leur intention de se déplacer aux urnes dans le cas où le vote serait libre. La dernière de ces enquêtes indique que 32,6 % des sondés n’iraient pas voter et 10 % « parfois ». Or, c’est surtout l’évolution de ces chiffres qui s’avère préoccupante, le même type d’enquête effectué en janvier 2004 signale que l’abstention serait en augmentation de 10 points en l’espace de 4 ans. Ajoutons qu’en dépit du vote obligatoire qui, pour certains, fonderait l’identité Belge, les dernières élections régionales et européennes en Belgique, furent surtout marquées par une abstention en hausse. A Bruxelles, 15,7 % des électeurs inscrits sont ainsi restés chez eux le 7 juin 2009.

D’autres éléments traduisant ce phénomène apparaissent parfois au détour d’une enquête d’opinion. Parmi ceux-ci, un sondage réalisé avant les dernières élections régionales, montrait que seuls 16 % des wallons savaient que leur gouvernement sortant était une majorité PS-CDH. Signe frappant d’une indifférence généralisée puisque 84 % des électeurs sont allés voter en ignorant quels partis étaient responsables de la politique menée. Osons croire que cette fièvre apathique n’aurait pas atteint un tel degré si elle avait pu être mesurée au préalable au thermomètre de l’abstention.

Mais le vote obligatoire comporte d’autres aspects davantage préjudiciables. Certains électeurs forcés de se rendre aux urnes comme certains enfants à leurs cours de catéchisme, se rabattent, sur des partis protestataires ou antisystème, faisant d’ailleurs fi, en règle générale, des penchants idéologiques de ces derniers. Pierre Verjans, Professeur à l’Université de Liège, expliquait il y a peu que la progression du Vlaams Belang en Flandre avait été favorisée par le vote obligatoire – le Belang profitant notamment d’un électorat de « râleurs » exprimant un certain ras-le-bol plutôt que leur pleine adhésion à l’agenda xénophobe du mouvement. Le vote obligatoire permit ainsi à l’ex-Vlaams Blok de cristalliser les mécontents à ses débuts – avec une tranche d’électeurs gonflée à 25 % en Flandre et jusqu’à 33 % à Anvers.

Première conséquence d’une telle situation : par simple logique arithmétique, le nombre de députés obtenus par le Vlaams Belang rend la composition d’une majorité gouvernementale de plus en plus ardue. On aboutit ainsi à des coalitions improbables comme à la suite des élections régionales de 2004 : une tripartite CD&V-VLD-SPA (ou plutôt CD&V/NVA-VLD/Vivant-SPA/Spirit) qui renforce alors encore davantage le Vlaams Belang comme seul parti d’opposition avec Groen !. De la même manière, depuis l’éclatement du cartel CD&V-NVA en 2008, le gouvernement fédéral n’est plus soutenu par une majorité de députés flamands. Notons ici que contrairement au vote protestataire, l’abstention ne produit pas de députés : les citoyens se désintéressant des affaires publiques ont au moins la liberté de ne pas entraver leur bon fonctionnement.

Seconde conséquence : on se méprend sur le message envoyé par les électeurs. Même si un parti n’accède pas au pouvoir, le fait qu’il progresse d’élection en élection conduit l’ensemble de la classe politique à considérer son message comme correspondant à une attente de la population et à donc être porteur en termes de voix. En vingt ans, combien de positions, en particulier dans le dossier communautaire, ne furent pas flattées à outrance, de peur d’offrir un boulevard encore plus large au Vlaams Belang ? Un phénomène de contamination thématique qui s’expliquerait donc d’une part, par le phénomène de désidéologisation dont souffrent la plupart des partis établis, mais également par ce même biais participatif – à savoir la surreprésentation des électeurs due au vote obligatoire – ouvrant le champ à de nouveau partis espérant profiter d’une désaffection insondable et non-répercutée.

On peut d’ailleurs remarquer que le score du Belang a commencé à décroître lorsque d’autres partis – la Lijst Dedecker, et la NVA de Bart De Wever – apparurent sur la scène politique flamande comme exutoires alternatifs au mécontentement ambiant. Alors que depuis 2003 les abstentionnistes hors-la-loi ne sont plus susceptibles d’être poursuivis, il est aujourd’hui grand temps de ne plus considérer l’abstention comme un tabou mais davantage comme une forme de catharsis salutaire.

Mesurer le désintérêt, voire le dégoût pour la politique paraît tout à fait sain, voire souhaitable dans une démocratie. Ce rejet quantifié peut, alors seulement, aboutir à un recalibrage démocratique; à savoir une remise en question du politique accompagné d’un sursaut citoyen. On en revient ainsi à cette évidence : les électeurs s’expriment plus clairement si on leur laisse une liberté de choix. Y compris celui de ne pas voter.

Publicité

Un commentaire sur “Qui veut casser le thermomètre ?

Ajouter un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :