Hier, impossible de joindre René, d’habitude si prompt à décrocher – un détail qui en faisait l’une des personnes les plus disponibles à ma connaissance – véritable aubaine pour tout journaliste en quête d’interview et pour tout étudiant, d’ordinaire éconduit ou coltiné aux heures de rendez-vous académiques bureaucratiquement fixées.
En contrepartie, René ne « prenait » pas les mails.
René ne décrochera plus, il nous a quitté hier, à l’âge de 67 ans. Ces quelques lignes sont dédiées au Dandy qui marqua profondément mes jeunes années.
Alors que, jeune étudiant, vers l’âge de 19-20 ans je n’en finissais plus de narguer mon professeur de sciences politiques Jacques Herman, à la fin de chaque cours – trop excité par quelques références à Friedrich Nietzsche (dont la philosophie à coup de marteau avait embrasé mon adolescence) – celui-ci m’emmena consulter un psychologue. Non pas un spécialiste ès normopathies censé me ramener parmi les bienpensants, mais son ami, éthologue et expert en neurosciences cognitives, politologue à ses heures : René Zayan.
D’un naturel réservé, l’exubérance chromatique du personnage me rendit d’emblée circonspect. « Haut en couleur » diront ses vagues connaissances – un clown, selon ses détracteurs. Ce marseillais d’origine, aux ascendances (génétiques, topographiques ou imaginaires) coptes, arméniennes et uruguayennes soignait effectivement les détails : de l’orange, du saumon, du vert, la pochette assortie, des chaussures sur mesure importées d’Italie. Un charisme évident, une culture encyclopédique et un nuage olfactif causé par la consommation de moult cigarillos venaient compléter le tableau.
« C’est lorsqu’il parle en son nom que l’homme est le moins lui-même. Donnez-lui un masque et il vous dira la vérité » notait Oscar Wilde. Zayan, sous couvert de cet arc-en-ciel vestimentaire, exprimait sa vérité.
Nous ne nous quittâmes plus. Plusieurs fois par mois nous allâmes manger dans quelque resto surfait de Louvain-la-Neuve où le Professeur refit mon éducation philo-littéraire : de Cioran, lecture décisive, à Drieu La Rochelle, auquel je ne parvins jamais à accrocher. Parenthèse : Zayan fut un grand Rochellien, une œuvre qu’il (et qui le) dévorait d’une passion extrême – pas une soirée sans référence à Gilles ou au Feu Follet. Sa bibliothèque comprend, hormis l’intégralité des livres, de nombreuses éditions originales – pour lesquelles René se ruinait – et de nombreuses lettres et textes inédits du sulfureux écrivain.
Je devins son Sparring partner sur un ensemble d’autres thèmes qui m’ont in fine, de lecture en lecture, révélé à moi-même et aidé à devenir celui que je suis.
Or, ce corpus référentiel se situait à mille lieues du personnage public arpentant les plateaux télévisés. Les journalistes n’y voyaient généralement que du feu. Aussi, ce « professeur sympathique » qui avait réussi l’exploit de captiver plusieurs générations d’étudiants apathiques en substituant la pédagogie « PowerPointienne » par une scénographie burlesque durant ses cours, devint progressivement un « bon client » médiatique. Auteur de plusieurs documentaires de « vulgarisation », il fut l’un des premiers à rendre le décryptage de la communication politique (essentiellement non-verbale) populaire auprès du grand public en Belgique.
Inconditionnel de Ronald Reagan, de Jacques Chirac et de l’incarnation de l’esprit rock’n’roll, Gene Vincent, il ne rechignait jamais à agrémenter ses performances d’une imitation. Un mélange des genres qui interloquait souvent le corps professoral – ce qui rendait la chose d’autant plus plaisante à ses yeux.
Dès nos premières rencontres, après deux verres de Whisky, René prophétisait, sourire en coin, le retour assuré des populismes. « Révolutionnaire », il s’en réjouissait, là encore. « Le populisme, la nouvelle forme de séduction politique en démocratie ? » fut le titre de l’une de ses dernières conférences. Des analyses, au demeurant, rarement relayées ou prises au sérieux.
Maître et complice, René m’apprit une vérité : « un véritable ami, ça se voit tout le temps, ou plus jamais ». Le vouvoiement fut vite abandonné. Le pédagogue se mua en confident impitoyable. La « chimie de l’amour » était son rayon ; adepte du donjuanisme, il observait les couples avec un regard d’entomologiste – les quelques soirées où je venais accompagné furent de véritables « crash tests ». Les sentences fusaient.
« Le Dandy doit aspirer à être sublime sans interruption, il doit vivre et dormir devant un miroir » (Baudelaire) ou le Dandysme comme ascèse. Un repas par jour : René ne déjeunait pas, diète oblige. Il suivait un régime strict, scrutant tout embonpoint avec mépris, signe de mollesse, d’abandon. Cette discipline trouvait son apothéose dans la performance académique ou médiatique, ou plus discrètement dans les affinités électives qu’il soignait.
Professeur émérite à l’UCL, depuis deux ans, René enseignait moins.
Aujourd’hui je pense à Alexandre, son plus fidèle ami et à sa révérée mère, désormais si seule du côté de la Canebière.
Une protubérance vient de s’éteindre dans le firmament de l’UCL. Portrait hypocoristique digne de ce grand m