Interview pour Les Echos parue le 19 septembre 2015.
Les Grecs votent dimanche 20 septembre pour des législatives anticipées , suite à la démission du Premier ministre, Alexis Tsipras, le 20 août. A l’issue de ces élections, le parti de gauche Syriza pourrait devoir laisser la place aux conservateurs de Nouvelle Démocratie. Cet épisode boucle neuf mois de coups politiques et de déclarations qui, selon Nicolas Baygert professeur de communication politique à l’Institut des hautes études des communications sociales (IHECS) et l’Université libre de Bruxelles, ont permis aux dirigeants grecs de « prendre le contrôle du récit médiatique » dans leurs négociations avec les Européens. Rétrospective.
Nicolas Baygert : « Tsipras et Varoufakis ont hystérisé le tempo »
Pourquoi Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis ont-ils choisi de communiquer via Twitter ?
Les réseaux sociaux leur ont permis de devenir les raconteurs en temps réel des faits, et de prendre le contrôle du récit médiatique de la crise grecque. Il faut voir le contexte « communicationnel », qui était extrêmement complexe et chaotique, a l’arrivée de Syriza. A travers les différents coups médiatiques et politiques qu’Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis ont menés, il y avait avant tout une volonté de simplifier cette communication.
Quelle stratégie ont-ils mise en place ?
Varoufakis était, d’une certaine manière, un observateur-participant des négociations. Il disait en temps réel « je suis dans un meeting avec telle personne, voilà ce qui est en train de se passer, voilà ce qu’on veut nous faire croire, voilà comment je vois les choses », et ça alimentait le récit médiatique en temps réel.
Il y a là une grande différence avec les tweets et les messages postés par d’autres leaders politiques comme le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui restait dans une forme d’affirmation positive, une forme de langue de bois numérique, cette idée de dire « nous continuons, nous gardons le cap… »
Autant Tsipras que Varoufakis ont utilisé la stratégie du « subtweet », c’est-à-dire faire allusion à des faits ou des personnes sans les nommer. C’est miser sur une intelligence collective, sur des internautes qui maîtrisent déjà plus ou moins le sujet. Cela a pour conséquence d’inclure les internautes dans la conversation.
Quelles en ont été les conséquences politiques ?
Ils ont un peu hystérisé le tempo. Cette succession de séquences, avec du suspense et de la scénarisation, correspond au temps des réseaux sociaux. Mais ça peut avoir des conséquences dangereuses parce qu’on est dans une instabilité permanente et un emballement perpétuel.
Et sur l’image des deux leaders grecs ?
L’évolution qu’on a vue ces derniers mois, c’est peut-être une atténuation de cette tendance à cliver chez Tsipras. Les sept derniers mois ont montré que la première équipe au pouvoir n’avait pas les compétences managériales pour gouverner la Grèce dans l’état où elle était. Un constat qui a peut-être poussé Tsipras à démissionner pour s’entourer d’une équipe plus pragmatique.
Quant à Varoufakis, il a, dès son arrivée au gouvernement, adopté une posture de commentateur, d’expert ayant une vision décalée de la situation. Il a eu l’idée et la volonté de créer autour de lui une coalition anti-austérité. Il jouait un peu sa partition en solo, Twitter lui a permis de dépasser son audience de départ pour atteindre, en tant que responsable, une légitimité et une autorité lui donnant une audience plus grande. Du coup, il a pris une dimension internationale. Aujourd’hui, des leaders de la gauche de la gauche comme Jean-Luc Mélenchon se l’arrachent . Il incarne une autre Europe, une forme de dissidence.
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