Frauke Petry, c’est la Florian Philippot de l’AfD

Interview téléphonique dans L’Echo publié le 26 septembre 2017. Propos recueillis par François Witvrouw.

La poussée historique du parti d’extrême droite AfD lors des élections législatives allemandes dimanche fait l’objet de bien des inquiétudes à travers le monde. Mais pour Nicolas Baygert, docteur en information et communication (Paris IV-Sorbonne/UCL), il faut relativiser. Entretien.

1) Comment peut-on décrire la ligne politique de l’AfD ? Un ramassis de nazis sans vraie direction politique ou c’est bien plus que cela ?

Il faut voir comment le parti est né et comment il a évolué. Au départ, c’était une initiative de professeurs d’université qui critiquaient le cap économique de l’Europe et de l’Allemagne en particulier au moment des aides financières destinées à la Grèce. Il y avait une volonté de retrouver une forme de souverainisme économique et donc de sortir de l’euro.

Et puis la ligne directrice du parti a changé et le fondateur, Bernd Lucke, prié de quitter ses fonctions, a fondé sa propre formation. Donc à l’origine, il y a eu pas mal de soubresauts et plusieurs courants qui ont coexisté.

La co-présidente du parti Frauke Petry était en faveur d’une posture plus lisse, plus à même de représenter une formation possible de coalition. C’était plutôt une ligne nationale-libérale, avec un agenda clairement patriote.

C’est la même nuance que l’on peut retrouver au Front National avec quelqu’un comme Florian Philippot qui, lui aussi, est parti et qui, lui aussi, avait une lecture beaucoup plus économique, souverainiste et peut-être moins identitaire que d’autres au sein de sa formation.

On ne peut pas considérer l’AfD comme un ramassis de nazis. En Allemagne, des partis néo-nazis, il en existe depuis longtemps. Ce n’est pas le cas de l’AfD, même si la ligne de démarcation est assez fine selon les interlocuteurs.

Il faut savoir que les référents identitaires ont été pendant très longtemps implicitement bannis dans le pays. Des décennies sont passées avant qu’un Allemand sorte un drapeau allemand, de peur que les gens fassent le lien avec le IIIe Reich. Aujourd’hui, il y a une sorte de parole décomplexée, une déculpabilisation qui a été portée par l’AfD et qui figure dans le discours de ses membres les plus radicaux. On est dans une dénonciation de l’islamisation qui serait boostée par l’arrivée des migrants et des conséquences que cela pourrait avoir sur la société allemande.

On a, dans l’AfD, des profils très différents du type néo-nazi au crâne rasé. C’est tout un univers à droite de la CDU/CSU sur un territoire encore peu exploré. C’est un parti rassemblant des personnes aux convictions plutôt incompatibles, et on le voit avec le claquage de porte de Frauke Petry.

2) Frauke Petry n’a-t-elle pas essayé de faire de l’AfD un parti de pouvoir en polissant son discours, ce qui du coup, suite à son départ, va faire en sorte que le parti va davantage se radicaliser et choisit d’une certaine façon de se placer dans une opposition contestataire ?

C’est clair, Frauke Petry voulait arriver au pouvoir avec l’AfD. Elle voulait dédiaboliser l’image du parti pour pouvoir entrer dans des coalitions. C’est vrai que la ligne plus dure et plus identitaire peut donner l’impression qu’on va vers une radicalisation et une absence de compromis, mais il faut encore voir le profil des 94 élus qui vont entrer au Bundestag.

La préoccupation principale de l’AfD reste l’immigration et l’accueil des réfugiés. En revanche, sur la forme que prendront ces messages, là on verra. La campagne a été dure et radicale, mais on était dans un contexte électoral. Maintenant, on ne l’est plus. Donc, il faut voir comment ils vont évoluer.

3) Comment expliquer une telle radicalisation du discours, à l’inverse de la stratégie de dédiabolisation d’un parti comme le Front National par exemple ?

Pour une formation comme l’AfD qui est née sur le web, c’est très difficile de mettre en place une discipline de parti et d’avoir une gestion de parti politique normal. Il y a une révolte des électeurs à la base, que l’on peut comparer avec Pegida, ce mouvement de citoyens en marche contre ce qu’ils décrivent comme l’islamisation de l’Occident.

Il y a tout un courant de la base qui est beaucoup plus radical. C’est quelque chose qui n’est pas contrôlable par les élites. La campagne de dédiabolisation de Marine Le Pen, et on l’a vu avec l’éviction de Philippot, a touché à ses limites. L’objectif, c’est de se rendre appréciable auprès des médias. Se faire réinviter sur les plateaux et prouver qu’on souscrit aux codes de la médiatisation.

C’est quelque chose que Marine Le Pen, avec l’aide de Florian Philippot, a réussi à faire. Le problème, c’est qu’au niveau de la base, et on le voit avec le succès que connait Marion-Maréchal Le Pen, cet adoucissement ne plaît pas à tout le monde, et certainement pas au coeur de l’électorat frontiste.

Du coup, ce qu’on voit avec le changement de cap de l’AfD, c’est qu’il y a une plus grande adéquation entre ce que veut la base, l’électorat révolté et anti-establishment, et ce que propose aujourd’hui l’AfD comme discours, contrairement à ce que c’était sous Frauke Petry.

Dans ce triangle médias-offre politique-attente de l’électorat, il y en a souvent un qui finit perdant. Ici, c’est le rapport médias-parti. L’AfD n’a pas choisi de se rendre médias-friendly. La stratégie, c’est de toucher les électeurs via des campagnes chocs et une campagne sur internet moderne et innovante.

C’est un parti lié à internet qui préfère communiquer avec ses militants sans passer par l’intermédiaire des médias. C’est quelque chose que l’on voit aussi dans d’autres formations politiques comme l’Ukip en Grande-Bretagne par exemple.

4) Est-ce que la culpabilisation qui a été imposée aux Allemands suite à la guerre 40-45 n’a pas été un peu trop forte au point de faire exploser une partie de la population qui a ainsi exprimé son ras-le-bol ?

Oui, les médias s’imposent un certain nombre de limites qui ont tendance à exaspérer les citoyens allemands. L’AfD a essentiellement percé en ex-RDA et là-bas, on n’a pas eu le même processus de culpabilisation qu’en Allemagne de l’Ouest.

Les Allemands de l’Ouest baignent dans la culture occidentale américanisée et, depuis leur petite enfance, on leur rappelle sans cesse le rôle historique de l’Allemagne dans les deux guerres.

Du côté de l’Est, la population a vécu pendant plusieurs décennies sous le joug des communistes et qui ont, eux, une toute autre lecture du réel et de la planète. Donc, le processus de culpabilisation n’est pas le même.

Aujourd’hui, un certain nombre de leaders estiment que la culture de l’excuse et de la repentance, quelques générations plus tard, doit s’arrêter. On a un passé qu’il faut accepter et puis voilà, passons à autre chose. Les voix pour l’AfD viennent de partout, pas que du CDU.

Dire que l’Allemagne se radicalise, que c’est le retour de l’extrême droite, c’est exagéré. Plus de 87% des Allemands n’ont pas voté pour l’AfD, il faut remettre les choses en perspective. Aucun pays n’a accueilli autant de migrants que l’Allemagne: 1 million, c’est inédit. Et par rapport à cette situation inédite, les 12,6% d’Allemands qui ont voté pour l’AfD, cela reste modéré.

5) Frauke Petry ne serait-elle pas la Florian Philippot de l’AfD ?

Oui, elle avait une autre ambition pour son parti politique. Pendant longtemps, elle a essayé de modérer, de s’excuser pour les sorties hardcores des figures du parti. A un moment, elle a considéré que ce n’était plus possible. Le plus intéressant, c’est de constater le désamour entre l’électorat de la base de l’AfD et Frauke Petry.

C’est la même chose pour Philippot. En pensant qu’il est le chéri des médias, il pense être légitimé dans son rôle de porte-parole ou d’idéologue du parti. Mais cela ne fonctionne pas, ce n’est pas ce que veut la base. Les formations d’extrême droite sont toutes dans une forme de reconfiguration, dans une recherche intérieure, dans une forme de crise identitaire avec différents courants.

Entre, d’une part, la médiagénie recherchée par un certain nombre de leaders politiques et leur volonté de normaliser leurs formations pour ne plus se faire traiter de fachos et, d’autre part, une attente de la masse d’électeurs anti-système et anti-establishment, il y a un gouffre et une incompréhension mutuelle assez importante.

6) Comment expliquer les fractures qui se forment, au FN comme à l’AfD, après une poussée électorale importante?

Dans les partis traditionnels, comme le parti socialiste en Belgique par exemple, il y a aussi une crise identitaire. Cela dépasse le destin d’un certain nombre de personnes, cela touche carrément à l’identité du parti. On prend un tournant plus à gauche pour aller sur les plates-bandes du PTB.

Mais c’est vrai que l’AfD fonctionne autour d’un pilotage collectif. C’est plus un projet collaboratif. D’autres partis comme la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon fonctionnent quant à eux autour d’un seul leader charismatique. Pour l’AfD, comme dans tout projet collaboratif, il évalue au gré des tendances et des soubresauts de l’opinion et donc, on observe des reconfigurations qui sont parfois déterminantes et qui peuvent ringardiser le comité de pilotage précédent.

C’est ce qu’on a vu avec Frauke Petry. Elle s’est crue indispensable mais dans ce genre de formations politiques, personne n’est indispensable.

7) Cette percée spectaculaire de l’AfD va-t-elle, selon vous, avoir une influence sur la politique européenne allemande ?

Il faut toujours se rappeler que l’AfD n’a fait que 12,6%. Donc, non je ne crois pas. Merkel a déjà revu sa copie par rapport aux migrants, il y a déjà eu un durcissement. Elle a le sens du pragmatisme, c’est la seule personne qui incarne une sécurité et une stabilité dans l’offre politique.

Elle ne sera pas liée aux exigences de l’AfD. Elle n’a pas besoin de récupérer les électeurs du CDU partis vers cette formation. Merkel peut continuer à accueillir des anciens électeurs du SPD, un des grands perdants de cette élection, sans se soucier de l’opposition de l’AfD.

SourceL’Echo

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