Analyse croisée (avec Jeoffrey Gaspard – ULB) parue sur le site RTBF Info le mercredi 5 septembre 2018. Propos recueillis par Margaux Parthonnaud. Dans la version reproduite ci-dessous, mes propos (téléphoniques) sont légèrement amendés.
Placardés sur les murs de la ville, les visages des candidats aux élections communales de 2018 font partie intégrante du paysage belge. Si l’affiche n’a plus le même impact sur les électeurs qu’à une certaine époque, elle n’en reste pas moins un outil essentiel.
Avant l’arrivée de la TV, d’internet et des smartphones, l’affiche était l’un des seuls moyens de communiquer visuellement. Dans la première moitié du 20e siècle, les affiches étaient plus créatives et artistiques. L’objectif était de consolider une vision du monde et d’entrer en dialogue avec une conception politique. Aujourd’hui, les gadgets technologiques prennent le pas sur le pouvoir de l’image.
Au-delà de son rôle informatif, l’affiche électorale a également un « rôle d’occupation visuelle du territoire physique« , explique Nicolas Baygert, professeur en communication politique à l’ULB et Sciences Po Paris. L’objectif premier de l’affiche est d’apparaître et d’être visible dans l’espace public. « C’est une sorte L’affiche relève du domaine de la publicité politique. Elle représente un produit d’appel pour dans le but d’intéresser le citoyen à l’offre locale« , mentionne le professeur. Il rajoute, « la dimension la valeur ajoutée en matière de pédagogie citoyenne est relativement faible et peu informative, hormis découvrir les visages des candidats, on dispose généralement de a très peu d’informations. Les affiches s’inscrivent, surtout avant tout, dans un folklore électoral« . Néanmoins, l’affiche est indispensable pour la mise en condition de l’élection de façon à ce que les noms ou slogans des politiques restent dans la mémoire des passants.
Durant la campagne électorale, qui est assez courte, le candidat doit se créer une notoriété et booster son capital sympathie. « Certains Les candidats veilleront à se vont se présenter sous leur meilleur jour. Pour certains novices, plusieurs prises seront nécessaires avant de fixer le portrait correspondant à l’image recherchée et répondant à l’étiquette électorale correspondant aux ils vont refaire 10 ou 20 fois la prise pour être sûrs d’être au mieux« , explique Nicolas Baygert.
Comprendre et interpréter une affiche électorale
« L’affiche électorale témoigne de ce que la politique reste avant tout, une affaire d’hommes et de femmes, présentés par un médium de communication des plus simples: la photographie reproduite et placardée dans des endroits stratégiques », explique Joeffrey Gaspard, chercheur et maître enseignant en sémiologie.
Afin d’analyser une affiche politique, comme pour toute autre production sémiotique à caractère visuel, il faut déterminer « les catégories de signes mobilisées par le producteur des affiches en vue de « signifier » quelque chose« , exprime J. Gaspard. Parmi ces signes, on retrouve, la couleur, le slogan, le logo, le regard, le cadrage, la gestuelle, la forme, ou encore l’organisation spatiale de l’affiche. Cette grande diversité de signes est mobilisée pour aboutir à des interprétations, « c’est-à-dire cadenasser les représentations qu’on peut construire des hommes et femmes politiques affichées », rajoute J. Gaspard. Il poursuit, « on fait cela en mobilisant des catégories de signes à significations (ou « connotations ») bien réglées et conventionnelles ».
Cependant, ces significations ne sont pas universelles. Chacun interprète ces données à sa guise et développe ses propres habitudes interprétatives. « Mais il est plus que probable que nous attribuions les mêmes signification aux différents signes mobilisés sur ces affiches » explique le chercheur. Ces signes ne visent pas à défendre un agent politique mais à rappeler les « candidats au souvenir des électeurs, à faire ressentir leur personnalité de la manière la plus rapide qui soit », ajoute Jeoffrey Gaspard.
Attention, malgré tout, à veiller à ne pas se laisser berner par le côté vendeur d’une affiche. « Il peut y avoir des juxtapositions de personnalités par exemple. C’est une stratégie qui peut prêter à confusion », explique Nicolas Baygert. [ndlr: Il s’agissait ici de pointer vers cette stratégie de marketing politique qui consiste à miser sur le capital notoriété d’une figure partisane bien connue. Le primo-candidat (ou la liste locale) cherchera à associer son image à celle d’un ténor du parti pour espérer bénéficier de son aura de marque comme l’illustre l’exemple ci-dessous]
Prenons l’exemple de Donald Trump. Anciennement animateur TV, l’actuel président des Etats-Unis a pu bénéficier de sa notoriété lors des élections présidentielles. Connu et reconnu par des milliers (voire des millions) de personnes, Donald Trump était une célébrité avant même de se présenter en tant que candidat. C’est une plus-value pour faire campagne [ndlr: ???].
Un parti, plusieurs codes
Le vert pour les écolos, le bleu pour les libéraux ou le rouge pour les socialistes. Chaque parti politique dispose de codes. Couleur, graphisme, les candidats apportent avec eux les codes appuyant leur adhérence à un parti, même si, en dehors des éléments chromatiques, les marqueurs idéologiques sont délaissés. « L’exercice de l’affiche électorale ressemble sous certains angles à la traditionnelle C’est un peu comme une photo de classe, à laquelle on n’échappe pas et répondant à une grammaire figée avec des codes auxquels il faut se plier« , déclare Nicolas Baygert.
Au niveau local, il est permis d’être moins conventionnel et « le degré d’originalité en communication politique est inversement proportionnel au pouvoir convoité », explique Jeoffrey Gaspard. Elio Di Rupo, par exemple, opte pour le noeud papillon et le costume lorsqu’il est au fédéral, et porte le col roulé lorsqu’il est à Mons. Alors, ne soyez pas surpris si certains candidats locaux se présentent sans cravate.
Voici quelques exemples de candidats à Bruxelles-Ville analysés par notre expert :
- Philippe Close
Logo, générique, nom du candidat… L’affiche est très classique. L’actuel bourgmestre de Bruxelles apparaît de face, en gros plan, le sourire aux lèvres. La présence du sourire peut apparaître « comme une volonté de paraître relativement sympathique. Pensez par contraste, aux affiches de Hitler ou Staline qui ne souriaient pas nécessairement », explique Jeoffrey Gaspard. Aussi, la dimension personnelle est très présente. Nous sommes face à une « candidature témoignage« , où l’essentiel de la communication s’appuie sur la légitimité d’une personnalité locale. Si le personnage est autant mis en valeur, c’est aussi pour connoter une certaine proximité, un élément essentiel au niveau local où le public doit se familiariser avec un visage.
- Alain Courtois
Affiche classique mais néanmoins porteuse d’une variation : la présence d’autres personnages politiques. « Il s’agit ici d’une volonté d’afficher les autres Hormis la présence d’un slogan (« Osons Bruxelles »), qui sur d’autres affiches concurrentes aura tendance à disparaître, on notera surtout la présence d’Els Ampe (co-listière Open VLD) en arrière-plan, soulignant le binôme MR-Open VLDnotamment parce qu’il s’agit d’une alliance entre le MR et l’Open Vld« , explique Nicolas Baygert. On comprend d’ailleurs que la liste est plurielle grâce au slogan [ndlr: ???]. Les deux partis s’affichent clairement, il n’est pas question, ici, de gommer l’appartenance partisane. Dans la gestuelle, on peut remarquer que Alain Courtois retrousse ses manches, ce qui fait référence à l »envie d’y aller« . En fond, on retrouve la couleur bleue. Elle peut être interprétée, « pour notre communauté interprétative, comme renvoyant à la couleur politique des libéraux », explique Jeoffrey Gaspard.
- Johan van den Driessche
Au-delà de l’arrière plan de la Grand Place, rappelant la commune pour laquelle le candidat se présente (Bruxelles-Ville), on remarque en bas de l’affiche le fameux « V », sigle de la N-VA. Il fait aujourd’hui partie de l’identité du parti. Il reflète le changement, le progrès et fait référence à la Flandre (Vlaams).
L’affiche est plus étoffée que d’autres. Sous son nom, on retrouve un petit texte en néerlandais et en français. Le texte néerlandais ne donne pas les mêmes informations que celui en français. Dans le texte francophone, le politique s’adresse directement à l’électeur. La mention néerlandaise, elle, s’inscrit davantage dans une description du personnage politique.
Le candidat n’est pas connu du public, d’autant plus qu’il s’agit d’une personnalité flamande et que Bruxelles reste à majorité francophone. Pourtant, le politique est mis en avant. Pari risqué, selon l’expert : « La communication de l’affiche se basemise sur l’identité du visage la renommée du candidat du politique. On part du principe que le visage de cette personnalité politique personnage est d’ores et déjà connu et qu’il s’inscrit dans l’inconscient des gens« , explique Nicolas Baygert [ndlr: ce commentaire concernait en réalité les affiches de Philippe Close et de Benoît Hellings et non celle du fort méconnu Johan van den Driessche].
- Didier Wauters
« C’est une affiche vraiment très très classique« , affirme Nicolas Baygert. Le personnage est souriant et renvoie une image « censée attester de la sympathie du candidat sympathique » de sa personne. D. Wauters n’est pas connu par le grand public, « l’idée ici c’est qu’on pourrait prendre n’importe qui, c’est Dans ce type d’une affiche générique, les visages ajoutés s’intègrent dans une composition d’image standard – prévue pour l’ensemble des candidats d’une liste« , rajoute le professeur de communication politique.
Cependant, le panneau comporte le minimum syndical d’informations et les idées et le programme du candidat ne sont pas portés à la connaissance des citoyens. La seule information politique qu’il ait donné, est l’alliance de deux partis, le CD&V et le cdH, faisant liste commune.
- Benoît Hellings
Le candidat est intégré dans un décor aux nuances de vert, qui colle avec l’image du parti (Ecolo) et de sa liste politique. Le candidat mise sur son degré de notoriété, « c’est un pari sur le leadership où le candidat privilégie son capital sympathie et ses qualités humaines », explique Nicolas Baygert. L’affiche est centrée sur un individu et renonce au registre artistique et idéologique.
Des affiches innovantes
Utiliser des affiches pour faire campagne n’est plus aussi bénéfique qu’il y a quelques années. L’affiche reste statique, moins intéressante niveau contenu et impossible à faire évoluer en fonction de l’actualité.
Facebook, Instagram, Twitter, les réseaux sociaux, eux, sont les nouveaux outils communicationnels des politiques. Ils permettent, en effet, de faire passer des informations en quelques clics.
Certains politiques font preuve d’originalité et donnent un coup de pep’s à la traditionnelle affiche. Ils utilisent des « affiches interactives« , qu’il est possible de scanner avec un QR code. Si vous approchez votre smartphone, celui-ci détecte le code et vous redirige sur un contenu en ligne. « Cette pratiqueCe dispositif de réalité augmentée a vu le jour été lancéeen 2015 au Canada dans la campagnecanadiennede Justin Trudeau », explique Nicolas Baygert. C’est une manière pour les politiques de prouver à leurs électeurs qu’ils ont la maîtrise des outils technologiques et qu’ils s’insèrent dans l’air du temps, tout en conservant cette manière, traditionnelle, de s’adresser aux citoyens.
Je renvoie ici le lecteur vers le Cahier Protagoras (N°3), paru l’an dernier et traitant de « La renaissance de l’affiche politique sur Facebook » – d’après une étude menée par Catherine Stilmant.
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