Entretien pour Le Soir, paru le 27 novembre 2018. Propos recueillis par Mathieu Colinet.
Nicolas Baygert est docteur en sciences de l’information et de la communication. Il enseigne à l’Ihecs, à l’ULB et à Sciences Po Paris. Il commente la place des chroniqueurs dans les dispositifs télévisuels actuels.
Le chroniqueur est à la mode. Promu par les chaînes de télévision, il devient parfois celui qu’on doit recadrer. Diriez-vous du coup que les médias ont leur part de responsabilité ?
Un chroniqueur est toujours au service d’une émission, du dispositif informationnel mis en place. Ce recours à des chroniqueurs, qui s’est multiplié ces dernières années, vient parachever un glissement : entre ce qu’on entendait auparavant par expert et l’acteur d’une performance médiatique. Et sous une performance médiatique, il y a l’idée que la personne qui intervient dans le cadre du dispositif se plie aux codes de l’émission avec l’objectif d’attirer le téléspectateur mais aussi de lui permettre de se reconnaître dans le casting des chroniqueurs choisis. Ceux-ci sont moins des experts dans des domaines particuliers que des personnes capables de porter une certaine polémique. L’immédiateté des questions en plateau entraîne également une simplification des discours, qui n’est pas une vulgarisation, et encourage le jeu de ping-pong entre chroniqueurs censés camper des positions et incarner des rôles. L’expertise agit ici comme une espèce de validation qui va faire autorité. Pierre Bourdieu parlait de fast thinkers, des penseurs instantanés amenés à rebondir sur n’importe quel sujet d’actualité. Tout cela favorise les formulations réductrices, caricaturales, qui vont favoriser un facteur explicatif sur tous les autres paramètres, qui vont éviter la nuance, qui vont préférer une interprétation teintée idéologiquement ou politiquement pour coller aux rôles dévolus à chacun. Alain Raviart, Michel Henrion et Emmanuelle Praet incarnent chacun une inclinaison politique et un regard sur la société.
Par rapport à la description que vous faites des émissions de ce type fonctionnant autour de chroniqueurs, on a presque l’impression que le dérapage n’est pas le fruit d’un accident mais presque intrinsèque au dispositif.
Oui, il y a des coups de gueule qui font presque partie des codes de ce genre d’émissions. On attend par exemple d’Emmanuelle Praet qu’elle réagisse et suréagisse parfois et occupe presque un espace politique et sociétal. Et que des chroniqueurs puissent avoir des positions très marquées n’est pas un problème dans ce genre d’émissions. Et c’est à partir des positions concurrentielles de chacun des chroniqueurs qu’on attend que le téléspectateur se fasse son opinion et prenne fait et cause pour l’un d’entre eux. Dans la polémique concernant Emmanuelle Praet, on arrive toutefois presque à une surinterprétation : comme si Emmanuelle Praet était la porte-parole du MR.
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