Pourquoi le PS a annulé ses duels électoraux avec la N-VA

Entretien téléphonique pour 7sur7.be. publié le 3 avril 2019. Propos recueillis par Michaël Bouche.

En décembre, Paul Magnette se disait encore prêt à débattre avec Bart De Wever. Trois mois plus tard, le PS fait volte-face. Comment interpréter ce refus du point de vue de la communication politique?Il y a différents choix tactiques qui peuvent expliquer cette volte-face. Ce qui a changé par rapport à la période où le débat a été pensé, c’est l’effet priming. En communication, il s’agit de la thématique sociétale dominante, celle traitée par les médias. Il suffit d’allumer la télé et de regarder le JT pour se rendre compte que les questions climatiques occupent l’actualité. Du coup, on le voit d’ailleurs dans les prises de paroles de Paul Magnette, le PS va davantage vouloir miser sur des thèmes qui marqueront l’élection, à savoir les enjeux socio-économiques et climatiques. Il y a donc cette volonté de modifier le cadre du débat du public. Lors de la chute du gouvernement, la N-VA était dans une position dominante sur les questions communautaires, institutionnelles et migratoires. La séquence s’est clôturée avec le pacte de Marrakech et on est passé à d’autres enjeux.

Donc, l’explication officielle du PS qui consiste à dire qu’il ne veut pas s’enfermer dans un débat strictement communautaire, c’est plausible d’après vous?
Oui, parce qu’ériger la N-VA comme contre-modèle au PS, c’est revenir à un débat public sur les thèmes de prédilection de la N-VA, les questions migratoires et communautaires. Le PS n’en a pas envie. (…) Et puis en ce qui concerne le projet confédéral de la N-VA, il n’y a pas de contre-projet proposé du côté francophone. C’est là où le PS est embêté parce qu’il n’a pas assez de matière pour se démarquer et proposer une alternative au modèle confédéral de la N-VA. C’est plus porteur pour lui de dire: ‘Non, on préfère parler d’autre chose’

Est-ce que le PS ne risque pas d’offrir plus de visibilité à d’autres concurrents politiques, comme Ecolo et Groen, qui, eux, ont accepté de débattre avec la N-VA? (ndlr. Un duel entre Bart De Wever et Jean-Marc Nollet organisé par L’Echo/De Tijd aura lieu ce mercredi à 19h30).

Le problème, c’est que ces thèmes-là vont automatiquement mettre en avant d’autres acteurs politiques, comme Ecolo et Groen, qui apparaissent comme légitimes à s’approprier cette thématique. D’une part, il y a la volonté d’écarter la N-VA comme attracteur idéologique dominant du système. D’autre part, ça laisse la place à Ecolo pour occuper le terrain médiatique sur les thèmes du climat et de l’environnement. Ca ne va pas forcément favoriser le PS qui, bien qu’ayant une doctrine éco-socialiste, n’est pas le premier qui arrive à l’esprit de l’électeur sur ces questions spécifiques.

Tout de même, est-ce que le fait de refuser le débat avec la N-VA, ce n’est pas un peu légitimer son discours qui consiste à dire ‘Il y a deux démocraties complètement différentes dans ce pays’?

Au-delà des thèmes qui sont choisis, le risque majeur est de valider une sorte de divorce, d’avoir des forces et acteurs politiques qui ne se parlent plus. Après, il y a aussi une dimension artificielle dans toute cette mise en scène dans la mesure où l’électeur flamand ne peut pas voter pour ou contre le PS. Là où durant la campagne électorale de 2014, il y avait encore une volonté de dialogue entre communautés, ici il y a une sorte de divorce acté de la part du PS en disant: ‘On n’a même plus envie de débattre avec vous’.

Refuser un débat contre un adversaire politique, n’est-ce pas une tactique dangereuse dans le sens où dans l’opinion publique, cela pourrait être perçu comme un manque de courage? Le débat, c’est l’essence même de la démocratie…
C’est sans doute la manière dont les journalistes et le citoyen vont interpréter ce refus. Le fait de rechigner à débattre avec un adversaire politique n’est jamais perçu positivement. En tout cas, cela ne grandit pas celui qui refuse. Il y a un cas exceptionnel, c’est celui du cordon sanitaire, c’est-à-dire qu’on se refuse de débattre pour des raisons idéologiques, de valeurs. Ici, c’est un autre cas de figure. La N-VA va insister massivement sur cet élément en soulignant que le fait de se défiler, cela prouve un déficit en termes de compétences rhétoriques et de compétences du débattant. D’une part, la N-VA peut en profiter, si besoin en est, pour se victimiser. D’autre part, elle pourra avancer comme argument que contrairement au PS, elle est à la recherche de dialogue et qu’elle a une attitude beaucoup plus ouverte que le PS, qui se referme sur sa réalité régionale.
Électoralement, est-ce que ce sera un choix payant, selon vous?La position du PS de refuser les duels électoraux mais pas les débats avec d’autres partis autour de la table est tout à fait justifiable. Le PS pourrait dire: ‘Pourquoi accorderait-on avant toute élection un avantage à la N-VA et au PS, qui seraient présentés de facto comme les champions de leur communauté respective?’ A partir du moment où le PS accepte de débattre avec la N-VA en présence d’autres partis, il peut se profiler en défenseur de la démocratie. ‘Nous sommes un parti parmi d’autres et il est indéfendable que deux formations politiques soient avantagées. Nous refusons un duel mais pas un débat’. L’électeur peut être sensible à cela.

Certains estiment que la véritable raison de ce refus, c’est une guerre d’ego au sein du PS entre Magnette et Di Rupo, qui n’auraient pas envie de se partager la vedette. Que cela vous inspire-t-il ?

Il s’agit ici plus d’une lutte interne. Ça peut jouer, oui, même si du côté de la N-VA, on peut imaginer que cette guerre d’ego a également lieu entre De Wever, Francken et Jambon. (…) C’est vrai qu’il y a aujourd’hui une différence de style évidente entre Magnette de Di Rupo. Magnette semble plus à l’aise avec l’exercice de l’improvisation, du temps réel et de la réponse dans un débat, alors que Di Rupo a plutôt tendance à être dans quelque chose de plus cadenassé et plus contrôlé. C’est le choix des armes. En tout cas, le fait qu’Elio Di Rupo soit le président du PS le rend légitime dans le rôle du débattant. C’est logique que le président de parti vienne débattre. On peut comprendre qu’il y ait des frictions en interne dans la mesure où c’est toujours Di Rupo qui est le président.

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